mardi 19 juillet 2022

AVENGING FORCE (Sam Firstenberg - 1986)




AVENGING FORCE
(Sam Firstenberg - 1986)

Vendu fallacieusement en France comme suite d’AMERICAN WARRIOR, l'un des fameux films de ninjas ayant fait la gloire de la Cannon, AVENGING FORCE était à la base prévu pour être une séquelle à INVASION USA avec Chuck Norris. L’autre star de la Cannon, Michael Dudikoff, reprend le flambeau dans cette histoire le mettant aux prises avec le Pentacle, un groupuscule de suprémacistes blancs chassant le chaland dans les marécages de Louisiane, entre deux attentats contre un candidat noir (Steve James !) au poste de sénateur…

Ici, on ne s’embarrasse pas des « détails » (Dudikoff cavalant comme un lapin alors qu’un carreau d’arbalète lui a transpercé la cuisse), et on va droit au but : l’action, généreusement présente tout comme le manque de finesse de cette entreprise, dans la lignée de ce que produisait les fameux cousins Menahem Golan & Yoram Globus.

                           

Le style des chasseurs très comics book d’époque n’est pas toujours très heureux, et les combats ainsi que la direction artistique accusent souvent leur âge. Mais si l’on se fade par exemple un chasseur adepte de Kendo qui ne touche pas une bille dans cette discipline, on est par ailleurs gâté par le catcheur semblant tout droit sorti de MAD MAX 2, se saisissant de Dudikoff et jouant avec lui comme si c’était un mannequin de lutte. Les techniques spectaculaires qu’il lui inflige ont d’ailleurs du laisser quelques séquelles au cascadeur lors du tournage, notamment le moment où celui-ci est balancé de toute sa hauteur les reins sur un tronc d’arbre ! Le leader du groupuscule (joué par le génial John P. Ryan) utilise quant à lui un garrot à tourniquet métallique qui n’est pas sans rappeler un passage atroce du futur CARTEL de Ridley Scott.

Le dernier acte renvoie quelque part au séminal LES CHASSES DU COMTE ZAROFF, avec son affrontement final au sein d’une demeure cosy. On y solde les ardoises façon duellistes, attendant le signal pour se rentrer dedans à coups d’armes médiévales ! Le tout se clôturant sur une fin ouverte appelant une suite qui ne verra jamais le jour.


L’ambiance pluvieuse des traques dans le bayou, assez cinégénique, évoque le SANS RETOUR de Walter Hill, et on est régulièrement surpris par le sadisme du film, avec ses massacres n’épargnant pas les enfants… le tout sur une musique rythmée pompant régulièrement celle du chef d’oeuvre POLICE FEDERALE, LOS ANGELES. Tous ces emprunts / pompages terminent d'apposer le sceau de la Cannon à cet AVENGING FORCE, tant les films de la firme étaient souvent conçus tels des créatures de Frankenstein !

Michael Dudikoff expliquera qu'il aura été rudoyé sur le tournage, notamment dans les séquences se déroulant dans les marécages, avec la pression de la faune locale (des alligators, des serpents d'eau), les joutes à mains nues qui lui coûteront un morceau de son lobe d'oreille, et par le fait de rester détrempé du petit matin au soir... Son implication se sent, et participe à faire d'
AVENGING FORCE un bis pour les nostalgiques de vidéoclub, qui n’ennuie jamais.

- Arthur Cauras.


nb : ce sujet est issu de mon article "Proies et chasseurs : les films de chasse à l'homme", présent dans le livret collector de l'édition limitée de la VHS box CHASSE A L'HOMME éditée chez ESC éditions à 1000 exemplaires, aujourd'hui épuisée.



mercredi 13 juillet 2022

MEN (Alex Garland, 2022)




MEN
(Alex Garland, 2022)


Impossible de s'imaginer, même avec le trailer, combien le nouveau film d'Alex Garland (scénariste de 28 JOURS PLUS TARD, LA PLAGE, SUNSHINE...) va aller loin, très loin, aussi loin qu'aucun film occidental sorti au cinéma ne l'a peut-être jamais été.

Tout comme de ses précédentes oeuvres (EX_MACHINA et ANNIHILATION), il resort de son nouvel effort un savant mélange entre le psychologique et la froideur clinique évoquant l'étude scientifique. Descendant d'un grand scientifique salué par un prix Nobel, et de psychologues, le constat fait sens.


Dans MEN, Garland nous fait suivre la tentative de reconstruction d'une femme qui a vu son mari se suicider après qu'elle lui ait annoncé sa volonté de divorcer. Elle part donc seule au fin fond de la campagne anglaise, dans un bled de 5 pèlerins où elle loge dans une grande demeure.

Alors qu'elle semble reprendre goût à la vie au contact de la nature, des éléments perturbants font leur apparition, dont l'un des moindres n'est pas cet homme nu totalement disgracieux qui se dresse face à elle en pleine forêt, puis la suit pour se coller aux fenêtres de sa maison, avant d'être interpellé par la police. Commence alors une succession de heurts avec le peu de population locale, de sentiment d'incompréhension et d'injustice, tandis que certains événements tendent vers le surréalisme, le grotesque puis le fantastique pur... L'héroïne rêve t'elle tout ça, est-elle à ce point à la dérive mentalement, combien est-ce ancré dans la réalité ? Pourquoi les figures masculines semblent plus ou moins avoir le même faciès ? Est-ce une métaphore de la soumission des femmes à l'homme dans notre société contemporaine ? Ou une métaphore d'une culpabilité beaucoup trop lourde à porter ?

Peut-être un mélange de tout ceci... Il est tout à fait possible et juste que 2 spectateurs y voient 2 interprétations diamétralement opposées.


Paresse ou incompétence d'écriture de la part d'Alex Garland ? Absolument pas, le scénariste / écrivain / réalisateur anglais est au contraire d'une intelligence et d'une précision rares dans son travail d'auteur, et nous enfonce dans une situation dégénérescente s'écroulant sur elle-même à mesure que le temps s'écoule façon cauchemar, se démantelant pour finir dans une apothéose chaotique et organique, recrachant le traumatisme initial... Honnêtement, on a rarement vu un équivalent sur grand écran. Il faut aller lorgner du côté de la petite lucarne des années 90, pour repenser à certaines images de la série TV THE KINGDOM de Lars Von Trier, ou de certains japanimes type Yoshiaki Kawajiri. Le réalisateur, quant à lui, avoue une référence : celle du japanime L'ATTAQUE DES TITANS, pour l'attitude, la posture et la façon dérangeantes de se mouvoir de certains personnages.

Garland parvient à nous mettre dans la peau de quelqu'un au bout du rouleau (quelqu'en soit la raison), qui n'en peut plus, mais qui est forcé d'encaisser continuellement des charges de plus en plus intenables.
En l'état, on sort de la salle complètement chamboulé. On tente de reconstituer ce qu'on vient de voir, la complexité de l'ensemble et les multiples possibilités d'interprétations, donc, et ça appelle à quelque chose qui n'existe quasiment plus depuis bien longtemps : le débat à la sortie de la salle. Ce n'est pas le moindre des tours de force de Garland, à une époque où les sentiers battus sont le chemin des films de cinéma, où les producteurs ne veulent pas prendre de risques... c'est assez incroyable et porteur d'espoir de voir un coup d'éclat tel que MEN en 2022.


Alex Garland, c'est véritablement un sans-faute. En plus d'être un storyteller de haut niveau, il a des thématiques récurrentes qui lui forgent une véritable filmographie homogène depuis ses débuts, entre la figure de la femme forte, l'attirance par la pulsion de mort, la toxicité des rapports humains, une mélancolie certaine, et ce fameux mélange psychologie / science dure qui façonne chacun de ses scénarios et films.

Il fait partie des rares réalisateurs actuels dont tout nouvel effort est à ne surtout pas rater.


- Arthur Cauras.