vendredi 13 janvier 2023

PROIES & CHASSEURS : les films de chasse à l’homme


PROIES & CHASSEURS :
Les films de chasse à l’homme


AVANT-PROPOS

Apparu très tôt dans l’histoire du cinéma, le concept d’hommes chassant à mort ses semblables ne s’est jamais essoufflé. Le film de chasse à l’homme en appelle à notre fibre archaïque, à nos instincts primaires pour nous impliquer en tant que spectateur, d’autant que ce sont (presque) toujours des innocents qui servent de gibier. On attend forcément ce moment où la proie va mettre à mal son agresseur.

Il existe trois types de films de chasse à l’homme : celle se déroulant officieusement, souvent sous l’impulsion d’une élite de nantis en mal de sensations fortes. C’est le cas de Chasse à l’Homme (John Woo, 1993) dont vous avez l’édition collector entre les mains. Il y a ensuite la chasse dans le cadre d’un jeu officiel, parfois télévisé, créée par une dictature en place.

Et enfin, celle tenant plus du Survival (ces récits âpres montrant des personnages tenter de survivre en milieu hostile), prenant la forme d’une traque vengeresse, ou dans le but d’appliquer une forme de justice souvent biaisée.

En fin d’article, vous trouverez les liens des articles que j'ai écrit concernant 12 films représentant le mieux les deux premières catégories.

Le traumatisant Punishment Park a marqué toutes les mémoires.

DYSTOPIES

Si le genre a été initié par un film faisant toujours autorité, Les Chasses du Comte Zaroff (Schoedsack & Pichel, 1932), il trouve souvent sa place au coeur des dystopies. Les sociétés futuristes du cinéma d’anticipation sont rarement bienveillantes, et pas mal d’entre elles fonctionnent sur la maxime « du pain et des jeux ». Le tout est de concevoir un jeu qui abrutira les foules ; mélange de hockey et de handball avec possibilité de tuer dans Rollerball (Norman Jewinson, 1975), courses de voitures customisées en armes létales dans La Course à la Mort de l’An 2000 (Paul Bartel, 1975)… Les Gladiateurs de Peter Watkins (1969) raconte comment les grandes puissances mondiales en sont venues à organiser les Jeux de la Paix, via la reproduction de théâtres de guerre censés remplacer les vraies qui éclateraient forcément sans ça. Watkins reviendra quelques années plus tard avec son traumatisant Punishment Park (1971), tourné façon reportage et montrant de jeunes dissidents de la politique américaine jetés en pâture à la police, dans une étendue désertique.

Le monde de l'animé comporte lui aussi son lot
de réussites sur le sujet, ici la série B-tooom!

Les Condamnés (Scott Wiper, 2007), et la série animée B-TOOOM! (Kotono Watanabe, 2012) marchent quant à eux sur les traces de Battle Royale (Kinji Fukasaku, 2001): il y est question de s’entre-tuer pour une raison ou une autre, isolés de tout sur une île. L’état américain permet une fois par an de céder à ses pulsions de meurtre pendant une nuit entière, c’est le cadre de la saga The Purge (James de Monaco). Dans les deuxième et troisième volets, nous y suivons des groupes de personnes pourchassés par des graines de malades mentaux équipés pour les circonstances. Dans Running Man (Paul Michael Glaser, 1987) et Le Prix du Danger (Yves Boisset, 1983), des citoyens se font traquer par des professionnels, sous le regard des foules déchaînées et surtout distraites des problèmes du quotidien. Le concept de chasse à l’homme revient donc régulièrement dans ces dystopies où des jeux mortels sont mis en place pour soit-disant canaliser la violence de l’humain. La saga Hunger Games a certainement été le plus gros succès international basé sur ce concept simple mais toujours aussi efficace.

Une des rares incartades françaises dans le sous-genre
nous concernant, avec le Prix du Danger.


TERRAIN DE CHASSE

De jeu, il en est aussi question dans le très réussi Les Proies (Gonzalo López-Gallego, 2007), mais impossible d’en dire plus sans dévoiler le message assez inattendu de ce film espagnol, qui nous fait suivre un duo pris pour cible par un mystérieux sniper.

Le cinéma hispanique a pondu un autre film dans ce répertoire : Paintball (Daniel Benmayor, 2009), dont le titre contient tout le concept. Des petits jeunes voulant jouer à la guerre en forêt vont être pris pour cibles et éliminés par un tueur, le Limier, équipé d’armes à feu bien réelles. Les mises à mort sont très glauques, et Paintball préfigure en partie The Hunt (Craig Zobel, 2020), avec son élite sociale planquée dans un bunker afin d’assister avec délectation aux massacres. En parlant de glauque, on passe de l’Espagne à la Norvège avec le craspec Manhunt (Patrik Syversen, 2008), se déroulant en 1974, opposant comme souvent des citadins à des ruraux faisant preuve d’une grande cruauté (langues coupées, pieds mutilés, éventration d’un paralysé…), tellement qu’on a d’ailleurs du mal à y croire. Rob Zombie n’est pas plus partisan d’une horreur lisse dans son 31 sorti en 2016, où des détraqués mentaux écharpent avec sauvagerie des saltimbanques parqués dans un hangar.

Le chassé devient chasseur dans Predator.

La jungle est le terrain de chasse du Predator dans le film éponyme de John McTiernan (1987), un extra-terrestre belliqueux cherchant à s’éprouver face aux proies les plus coriaces : un commando sur-entraîné. Chef d’oeuvre qui sera putassièrement copié-collé dans le mauvais ADN - La Menace (William Mesa, 1997) avec le pourtant bon Mark Dacascos.

Get Duked! (Ninian Doff, 2019) est sans conteste le plus léger et drôle de tous les films de cette liste, avec ses adolescents débiles subissant une randonnée scolaire, avant de se retrouver dans la ligne de mire d’aristocrates bon teint… et de découvrir une aide inattendue dans la consommation de crottes de lapin hallucinogènes !


MORALE

Le cinéma de série B est en général très moralisateur : un personnage responsable d’actes répréhensibles le paye toujours d’une façon ou d’une autre. Le genre qui nous intéresse ici ne déroge pas à la règle, c’est en quoi Face à Face (Mark Steven Johnson, 2013) sort son épingle du jeu. Un vétéran de la guerre de Bosnie (de Niro) est hanté par les horreurs qu’il a vécu là-bas, dont le fait d’avoir abattu dans le dos des membres de l’escadron de la mort serbe. Il se trouve que l’un d’eux (Travolta) a survécu et a passé sa vie à ruminer sa vengeance. Une traque au grand air permettra de drainer un mal-être auto-destructeur, de faire la paix avec l’autre mais surtout avec soi-même.

Essential Killing (Jerzy Skolimowski, 2010), quant à lui, prend le pari osé de nous faire suivre un taliban échappé d’un lieu de détention U.S, les forces armées américaines à ses trousses… Tout sera bon pour survivre, y compris téter le sein d’une jeune mère tétanisée afin de se réhydrater !

White Bear nous met face à nos bas instincts d'une manière imparable.

Dans Black Mirror, la série qui vous concasse le cerveau autant que le moral, il est également question de chasse à l’homme. Enfin, en l’occurrence d’une jeune femme se réveillant dans un endroit qu’elle ne connait pas, amnésique. Elle prend peur quand elle comprend qu’elle est épiée, filmée au téléphone puis poursuivie par des gens cagoulés qui la menacent avec des armes… L’explication finale de White Bear, glaçante comme à l’accoutumée avec ce show, créée une empathie qui serait en temps normal absolument impossible vis-à-vis d’un personnage aussi écoeurant. Et nous met alors mal à l’aise face à nos pulsions extrêmes d’auto-justice.


ET LES FEMMES ?

Les femmes ne sont pas épargnées par le genre, loin de là, comme le démontre le chatoyant Revenge (Coralie Fargeat, 2017) avec ses atours de Rape & revenge (justement). Dagmar (Roar Uthaug, 2012) se déroule en 1363 et narre l’histoire de Signe, une jeune femme de 19 ans qui survit au massacre de sa famille. Elle est enlevée par un clan mené par Dagmar, une guerrière impitoyable qui cherche une mère porteuse pour faire une petite soeur à sa fille adoptive… Signe prend la fuite, la poursuite peut commencer. La cheffe des poursuivants est particulièrement marquante, avec ce flashback inattendu faisant comprendre le monstre qu’elle est devenue. L’autre réussite du film est son traitement du deuil et de la perte d’êtres chers, comme en atteste cette séquence simple mais forte, où Signe est contrainte de revenir s’abriter dans une maison abandonnée… Où se trouve encore le cadavre fumant de l’homme qui avait tenté de l’aider.

Le désespéré La Traque dresse un portrait de société
aussi cinglant qu'écoeurant.

Parfois, la victime connait un destin plus tragique encore. La Traque (Serge Leroy, 1975) prend place dans la campagne normande où une jeune anglaise se fait violer lors d’une partie de chasse organisée par sept hommes issus de la petite bourgeoisie des notables. Elle blesse grièvement son violeur avant de s’échapper, poursuivie par le reste des chasseurs cherchant à acheter son silence… Au départ. La Traque a ceci d’intéressant qu’il met en avant l’hypocrisie sociale battant son plein dès lors que les carrières futures de certains risquent d’être négativement impactées… Au fil du récit, on sort du placard quelques anecdotes pas vraiment brillantes, comme ce cycliste renversé jadis et laissé mort sur la route, le tout maquillé en accident. On se trouve des raisons tirées par les cheveux, en se remémorant le temps où on abattait une milicienne à bout de forces pendant la Seconde Guerre Mondiale… Et la clique de ces « bonnes gens respectables » d’être prise dans un engrenage de violence laissant de moins en moins de chances à toute cette sinistre affaire de se conclure sereinement. La Traque est une critique sociale très puissante, une pépite du cinéma français ne faisant aucune concession sur son propos.


TRAQUÉS

Parfois, la chasse à mort est donc lancée sans avoir été prévue, après un événement bouleversant les moeurs locaux. C’est ce qui arrive aux soldats de la Garde nationale de Sans Retour (Walter Hill, 1983), après qu’ils se soient permis de prendre l’embarcation appartenant à des Cajuns, sur lesquels ils tirent à blanc en riant grassement. Un humour qui ne sera pas au goût de tous, et leur coûtera extrêmement cher.

Une maîtresse fuit des criminels avec ses jeunes élèves
de l'Ecole de tous les Dangers.
 

Délivrance montre lors de son dernier acte ses héros poursuivis par un consanguin local, après une atroce séquence de viol ayant marqué les mémoires de cinéphiles. Ridiculisant et humiliant horriblement les citadins se croyant au-dessus de tout (la nature) et de tout le monde (les autochtones), le film de John Boorman est l’une des références absolue du Survival. Egalement pendant son 3ème acte, L’Ecole de tous les Dangers (Arch Nicholson, 1985) s’intéresse à une classe entière d’enfants menés par leur maîtresse, décidant d’arrêter de fuir leurs ravisseurs et de les combattre. Se confectionnant des lances, des pieux ainsi que des pièges artisanaux, ils viendront à bout de leurs assaillants… avec une sauvagerie qui aura raison de leur dernière parcelle d’innocence. Un trophée sera même conservé dans la salle de classe !

Dans l’épisode Le Canyon de la mort de la série culte Les Contes de la Crypte, Kyle McLachlan campe un personnage drastiquement opposé à ceux qu’il incarne habituellement, d’un genre plutôt raffiné. Sortant de prison et abattant gratuitement des innocents, il est pris en chasse à travers le désert par un motard de la police qui ne le lâchera pas d’une semelle… mourant, le flic se menottera au criminel, devenant littéralement un fardeau pour lui, sous un soleil de plomb !

Rambo, une proie extrêmement mal choisie
par les habitants de la petite ville de Hope.

Les grands espaces jouent en effet souvent contre les héros qui n’y sont pas préparés. Ce n’est pas le cas de Charles Bronson dans Chasse à Mort (Peter Hunt, 1981), incarnant un trappeur harcelé par un groupe mené par le propriétaire violent d’un chien battu, qu’il aura pris sous son aile. Lorsque sa maison sous état de siège est finalement détruite à la dynamite, l’homme part seul dans les montagnes enneigées, direction l’Alaska, poursuivit par une délégation policière et de quidams armés jusqu’aux dents, sa tête étant mise à prix. Un autre homme se sent comme un poisson dans l’eau alors qu’il est acculé dans une forêt ; il s’agit du soldat solitaire de Rambo (Ted Kotcheff, 1982). Cristallisant le mal-être des USA vis-à-vis de ses vétérans envoyés à la boucherie, Rambo montre aussi la détresse psychologique dans laquelle peut tomber le plus dur des hommes, face à l’injustice de ses semblables n’éprouvant aucune empathie à son égard, et surtout ne cherchant pas à le comprendre. Cette impossibilité de trouver quelqu’un qui l’écoute amènera John Rambo à exploser dans la violence, avant de fondre en larmes lors d’une séquence finale bouleversante. Traqué (William Friedkin, 2003) marchera brillamment sur les traces de son aîné, montrant là-aussi une machine à tuer rendu défectueuse par les multiples traumas de la guerre, que cherche à stopper son ancien instructeur.


CONCLUSION

Dans ces films se déroulant souvent dans un laps de temps très réduit, les pourchassés en arrivent quasiment toujours au moment-clé où ils refusent leur statut de victimes désignées. Dès lors, l’attaque devient la meilleure défense, même s’ils y laisseront des plumes, physiquement et/ou psychologiquement. Genre métaphorique par excellence, le film de chasse à l’homme a de beaux jours devant lui…


Arthur Cauras.


nb : ce sujet est issu de mon article "Proies et chasseurs : les films de chasse à l'homme", présent dans le livret collector de l'édition limitée de la VHS box CHASSE A L'HOMME éditée chez ESC éditions à 1000 exemplaires, aujourd'hui épuisée.
Ce livret était voulu "interactif" : outre les QR codes flashables pour accéder aux trailers des films cités, il y était mentionné des informations qu'on ne trouvait pas dans le bluray/DVD, et vice-versa.



- Liens menant aux films qui faisaient l'objet des 12 focus suivants mon article :

Article QUE LA CHASSE COMMENCE !

Article LA PROIE NUE

Article RUNNING MAN vs. LE PRIX DU DANGER

Article LES TRAQUES DE L'AN 2000

Article AVENGING FORCE

Article PREDATOR
Article THE HUNT
Article PUNISHMENT PARK
Article BATTLE ROYALE
Article CHASSE A L'HOMME
Article LES CHASSES DU COMTE ZAROFF



dimanche 8 janvier 2023

AENIGMA (Lucio Fulci - 1987)

AENIGMA
(Lucio Fulci - 1987)

C’est dur de parler négativement d’un film de Fulci tant ce dernier mérite le respect. Mais difficile de sauver quelque chose de cet AENIGMA tourné alors qu’il était à cette époque affaibli par ses problèmes de santé (voir d'ailleurs son faciès émacié lorsqu'il joue le rôle de l'inspecteur dans une courte séquence). Rien ne se tient vraiment dans ce mélange contre-nature de CARRIE (pour la victimisation), PATRICK (pour les pouvoirs développés dans le coma) et SUSPIRIA (pour le lieu)… qui ressemble bien plus à un téléfilm sans le sou qu'à un film de cinéma, et surtout pas à un film du maestro.

Comme ça a été dit de nombreuses fois, la puissance des réussites de Fulci tenait à sa virtuosité, à son génie de mise en scène, mais aussi au talent de ses collaborateurs. Le chef opérateur Sergio Salvati (THE PSYCHIC, CONTRABAND), les scénaristes Roberto Gianviti (PERVERSION STORY, LE VENIN DE LA PEUR) ou Dardano Sacchetti (ZOMBI 2, FRAYEURS), le compositeur Fabio Frizzi (ZOMBI 2, L'AU-DELA), le monteur Vincenzo Tomassi (du VENIN DE LA PEUR jusqu'à la fin), le maquilleur Giannetto De Rossi (LA MAISON PRES DU CIMETIERE)... Quand tout ou partie de ces soldats étaient réunis pour un de ses métrages, la magie allait opérer à coup sûr, au moins en partie.


Mais comme il l'a dit en interview pour la promo de AENIGMA, le cinéma italien dépérit dans les années 80, et son équipe de cœur explose, plusieurs de ses collaborateurs partant bosser pour Bertolucci, la télévision ou même aux USA. Fulci se retrouve donc avec une équipe secondaire, des techniciens sans vraiment de talent comme en atteste cette photographie d'une pauvreté embarrassante (on a même droit à des ombres de caméra sur les sujets, misère de misère...), ces effets spéciaux de maquillages très limites, et cette musique véritablement indigeste, terminant de plomber le film dont le postulat de départ n'était déjà pas incroyable.

On a donc cette jeune femme brimée dans son école de danse, pour laquelle malheureusement on n'a aucune empathie, puisque Fulci la fait tomber dans le coma dès la scène d'ouverture, contrairement au film de de Palma qui nous faisait nous attacher de plus en plus fortement à Carrie (jouée par une excellente actrice, ce qui aide aussi). On switche alors sur le canevas du film australien PATRICK, puisque depuis son coma, elle se venge de ses bourreaux. La scène la plus connue du film, la mort d'une femme nue assaillie par une masse d'escargots (...) tombe hélas à plat, desservie par tous les secteurs sus-mentionnés, dont la photo et la musique médiocres...

Inutile pour un spectateur ou cinéphile lambda (entendre : pas fan de Fulci) de tenter l'expérience de ce piteux AENIGMA. Pour les aficionados du Terroriste des genres, ne nous reste plus que le fameux "Marabout-bout-de-ficelle" en place dans la filmo de Fulci depuis son TEMPS DU MASSACRE.
Comprendre : le repérage d'idées venant de films antérieurs de sa filmo, ou qui seront reconduites plus tard. Ici le retour de Fulci dans le milieu de la danse après MURDER ROCK, là l'agression d'un homme par son doppleganger, comme dans CONQUEST. Et aussi l’emprunt d'une morgue façon L'AU-DELA, version wish, ainsi que la même idée plutôt bonne d'un trouble spatio-temporel lorsqu'une femme découvre son amant mort sous les draps. Alors qu'elle cherche à fuir le dispensaire, chaque porte ouverte la ramène inlassablement dans la même pièce, toujours plus choquée par le cadavre étêté de son conjoint. Malheureusement, ce passage est à nouveau gâché par la musique complètement aux fraises de Carlo Cordio.


S'il y a une séquence à sauver de AENIGMA, ce serait celle durant laquelle le médecin fantasme de coucher avec l'héroïne. Durant l'ébat amoureux qui monte en intensité, la jeune femme se montre de plus en plus agressive avant de rappeler les zombies de Fulci, se mettant à lui arracher des morceaux de chair avec les dents ! Un passage onirique, récurrent dans la carrière du réalisateur transalpin, faisant enfin un minimum honneur à son talent. Une scène qui, si on va pousser très loin, préfigure presque l'ouverture de BASIC INSTINCT... Fulci qui dira d'ailleurs plus tard (in L'Ecran Fantastique 149), que Paul Verhoeven lui copiait des idées dont celle dans LA MAISON PRES DU CIMETIERE, lorsque le monstre traîne par les cheveux sa victime dans l'escalier, qu'on retrouvait selon lui dans ROBOCOP !

Le film, laborieusement rythmé, se termine sans explication aucune sur le cas de la fille brimée du départ; pourquoi ces pouvoirs télékinésiques, pourquoi ce lien télépathique avec la nouvelle arrivée, on n'en saura rien... et ce qui est le plus triste, c'est qu'on n'en a finalement pas grand chose à faire.

Pour les personnes ne connaissant pas l'œuvre de Lucio Fulci, c'est un film à éviter, il y a tant à voir de plus impactant dans sa filmographie !


- Arthur Cauras.



lundi 2 janvier 2023

TOMIE (Junji Ito, manga 1987)


TOMIE
(manga de Junji Ito
1987 > 2000)

Clairement dans ce qu'on peut lire de plus fort en terme de BD, tous écoles confondues.

Un manga vicieux, où une jeune femme aux origines mystérieuses et au charme irrésistible, Tomié, apparait à chaque nouveau chapitre (pouvant être vus comme des nouvelles) pour détruire psychologiquement les hommes qu'elle va chercher.
Tomié use de tout son charme et de toutes les manipulations possibles et imaginables pour arriver à ses fins; la séduction, la détresse, l'injustice...
Elle veut être la plus belle, se sentir désirée à tout prix, et rend jaloux les uns des autres au point de les rendre fous... jusqu'à ce qu'ils la massacre ! Sans exception. Sauf qu'à chaque nouveau chapitre, Tomié ré-apparait comme si de rien n'était... car à la manière de THE THING (John Carpenter - 1982), chaque morceau de cette créature engendre un nouveau elle-même (qui comble de l’égo et du narcissisme, déteste ses "clones" et fait tout pour les faire tuer afin d'être la seule et unique à être adorée).


Cela va très loin dans la représentation de la torture psychologique, dans la descente vers la folie, dans la cassure de l'estime de soi, dans la manipulation, dans la jalousie maladive, et ça créé aussi un autre malaise au niveau de la violence avec laquelle les gens finissent par tuer Tomié; c'est tellement hard qu'on a régulièrement peine à trouver ça réellement libérateur... En sachant de plus que ça n'arrête rien mais que ça empire les choses !

Parallèlement à ça, Junji Ito produit des planches proprement terrifiantes où Tomié montre son vrai "visage", une véritable engeance répugnante faisant faire la moue à la lecture, évoquant parfois les visions d'horreur des Cronenberg ou encore les entités damnés du jeu SILENT HILL. On grimace autant que face aux expressions de folie furieuse, aux regards totalement perdus et à la déchéance des personnages étant à son contact.

Le manga n'est pas dénué d'un humour noir certain, comme lors de ce massacre opéré par une classe entière sur Tomié, durant lequel le professeur (à l'origine du lynchage!) commence à expliquer aux élèves eux-aussi aliénés le nom et la fonction de tous les organes internes qu'il sort du cadavre fumant de la créature !


Ces 750 pages sont parfaites, que ce soit dans la narration et dans le trait / découpage / rythme tenus par Ito, mais forcément certains chapitres / nouvelles sortent encore plus du lot... notamment cette histoire où Tomié vient mettre le chaos dans une demeure cossue où de vieilles personnes désespèrent d'adopter une fille... cette autre histoire où Tomié détricote le lien entre une mère aimante et son jeune fils... ou encore ce moment où l’un de ses "restes" en germe, ressemblant vaguement à un nourrisson, a hypnotisé un couple s'évertuant à faire cesser de pleurer cette ignominie de la seule manière possible : en déclenchant des incendies dans le voisinage, le son des sirènes et des flammes l'amusant.

Mais le pinacle est atteint, en ce qui me concerne, par le chapitre "Auriculaire", torture morale ultime où Tomié est pour une fois en échec face à un homme : un garçon au physique particulièrement disgracieux qui a trop souffert des brimades, et qui ne croit pas au pseudo intérêt que l'impérieuse créature lui porte. Un joyau de noirceur. Les 3 chapitres finaux valant eux aussi leur pesant de désespérance...



Ce pavé se lit intégralement avec frénésie, car au fil des pages, ce sont les années qui ont défilées pour l'auteur Junji Ito (13 ans précisément), qui a progressivement défini cette succube malsaine et les règles mythologiques qui vont avec.

Un chef d'oeuvre du domaine fantastique / horreur tout support confondu, ni plus ni moins.

A noter que la ré-édition de chez Mangetsu (intégrale) comporte entre autre une très intéressante préface du réalisateur Alexandre Aja (HAUTE TENSION, MIRRORS), disant qu'il rêve de l'adapter au cinéma, et où il explique voir Tomié avant tout comme une victime de la toxicité masculine.


- Arthur Cauras.