vendredi 7 décembre 2018

SCARFACE (1983) : REFLEXION SUR LE CULTE TONY MONTANA



SCARFACE (1983) :
REFLEXION SUR LE CULTE TONY MONTANA

par Arthur Cauras, 08.12.2018





Brian de Palma est l'un de mes réalisateurs préférés, ne serait-ce que pour son CARRIE (1976) qui m'a brisé le coeur quand j'avais 10-11 ans.

J’ai vu SCARFACE un nombre incalculable de fois étant ado, mais ce n’est qu’à mes 29-30 ans que j’en ai vraiment saisi les subtilités politiques et sociologiques. De nos jours encore, le film montre toute sa puissance et continue à marquer les esprits... Surtout par le biais de son protagoniste, Tony Montana, immigré Cubain dans les années 1980.

Montana est devenu une icône de la Pop Culture, et il est étonnant de voir combien certains de ses admirateurs semblent oublier certains traits du gangster.
Incroyable combien SCARFACE est avant tout le récit d'une déchéance programmée, un film vraiment tragique de A à Z, avec donc ce Tony Montana, cette âme perdue dès le début du récit, qui recherche un bonheur d’apparence à travers l'argent et le pouvoir.

Montana croit que le bonheur, c'est avoir l'argent, le pouvoir et les femmes (par… le pouvoir et l’argent!). Il lutte et participe à des entreprises très malsaines dans ce sens, et une fois qu'il a le pouvoir, la femme qu'il veut et l'argent... La routine et l’ennui font leur apparition, cette sensation de vide, de silence insupportables, suivis par une paranoïa exacerbée via la prise de drogue régulière. C’est la chute.
Plus il en a, plus Tony en veut, ce qui l'amènera bien entendu à se tirer lui-même dans le pied. Et on ne le verra jamais ne serait-ce que toucher du doigt ce véritable bonheur.


Durant le tournage du grand final de SCARFACE,
Brian de Palma mime à Al Pacino l'ultime posture de son personnage.


Le scénariste Oliver Stone et de Palma brossent un Tony Montana froid comme une porte de prison en terme émotionnel : au-delà du fait qu’il tue sur commande sans sourciller et sans remord, il reste par exemple de marbre face à son ami Angel se faisant débiter le bras et la jambe à la tronçonneuse. Il n'en parle presque plus après, n'a pas une pensée ou autre émotion à son égard.

Et quand il reparle de l'assassinat et de la torture de cet ami, c'est une question de principe, pas une question émotionnelle, c’est en rapport au « business », il se sert de cette anecdote à deux moments-clés qui vont justement le faire monter plus haut dans la hiérarchie du crime organisé…
Montana est donc présenté comme un psychopathe dans le sens 1er du terme, quelqu'un qui ne ressent pas ou très peu d'émotions, qui pense d'abord et avant tout à sa réussite personnelle et à sa prise de pouvoir…

Pour Montana, réussir dans la vie c'est être le Mâle Alpha, écraser tout le monde sans aucune pitié, il n'y a absolument aucune place pour l'empathie. Il ne faut certainement pas être "un mou", comme il dit de son premier boss à son ami Manny.


Tony gravit impitoyablement les échelons du Crime organisé.

Il n'y a que très peu d'exceptions à cette règle qui est la sienne, et ces exceptions le précipite vers sa mort... Sa chute qui sera filmée tel quel lorsque son corps sans vie tombe littéralement à l'eau, entraînant son empire.
La première exception est bien évidemment son refus de tuer les enfants d’une cible, qui était pourtant son ultime recours pour de ne pas aller en prison. On peut imaginer que c'est lié au fait qu'il cherche à avoir lui-même des enfants, en vain. Il devient pour l'occasion "un mou", et c'est le début de la fin pour lui - ce qui donne raison à sa théorie.
Plus tard, il descend encore d'un étage quand Elvira le quitte après avoir explosé au restaurant, il ne montre que du mépris et de la colère... mais il est bel et bien touché puisqu'après, il demande souvent à ses hommes si elle a appelé. 
La règle des "jamais deux sans trois" est aboutie alors que lors de son ultime éclair de lucidité après avoir sniffé comme jamais de la cocaïne, il prend conscience de son dérapage d’avoir assassiné son seul ami Manny sur un coup de tête, justement à cause de la drogue.

En amont, Montana est faussement rendu un minimum sympathique aux yeux du public, quand il fait donc le pitre à quelques reprises lors de la première partie de SCARFACE.
Chose qui fait ressortir, selon Elvira qu'il essaye de séduire par ce biais, son "côté plouc d'origine" ! Peu de traits vraiment humains sont accordés à Montana... Tout l'aiguille vers la dureté, donc vers la violence.

Au passage, Elvira peut d'ailleurs être vue comme un avertissement de ce qu'est une "vie réussie" selon les termes de Tony, puisqu'elle est depuis plus longtemps que lui dans ce milieu impitoyable, par le biais de son concubinage avec son premier patron mafieux.
Dès sa première apparition, elle ne sourit pas, n'est pas heureuse, est lassée, ne cherche que l'apparence du bonheur au travers d'une débauche de luxe, et est plongée H24 dans l'alcool et la drogue, dont la conséquence est qu'elle ne mange jamais, et peut-être même la stérilité.
Elle est très clairement en forte dépression, et symbolise le fameux adage disant que l'argent ne fait pas le bonheur.


Un final aussi culte que le film en lui-même.

SCARFACE est vraiment puissant via ces personnages tragiques, notamment celui de Montana. On peut être perplexe quant au fantasme qu’il suscite chez pas mal de gens, au vu de son destin clairement catastrophique, du fait qu’il ne vive rien de beau ou de bon de tout le film, et de toutes les tares qu’il accumule et que fuirait n’importe quel homme normalement constitué !
En effet ; en plus d’être renié par sa propre mère, la lignée des Montana s'arrête avec lui puisqu'il n'arrive pas à faire d'enfants à sa femme (un détail qui n’en est sûrement pas un) et qu'il "tue" sa seule soeur (de malheur puis physiquement en l'amenant dans le guêpier final) - même s’il ne se rend même pas compte qu'elle est morte, tant il est proche de l'overdose de cocaïne.

Le score de Georgio Moroder est également calibré pour conter le destin funeste de Montana, au-delà de rares tubes d'époque entraînants, comme "Pushing to the limits" qui illustre le résumé de la montée en puissance de Montana se finissant sur une Elvie dépressive qui sniffe de la coke, boit un verre d'alcool et tire sur une clope dans un seul et même plan... Annonçant clairement que rien n'a changé, Montana ayant juste pris pour un temps donné la place de son boss qu'il a tué... juste un poste et rien d'autre.
Montana est interchangeable, contrairement à ce que sa mégalomanie lui fait croire, perdu qu'il est dans les années 80, soit la décennie où la réussite personnelle devait prévaloir sur tout, en écrasant les autres si nécessaire... à la poursuite du célèbre Rêve Américain.

L'apparence de bonheur et de réussite, la mise en scène de De Palma s'attarde dessus, comme lors de ce plan commençant sur ce qu'on croit être un paysage idyllique de plage avec palmiers sur superbe coucher de soleil, avant qu'on ne se rende compte avec du recul qu'il ne s'agit que d'une banale affiche perdue dans une rue dégueulasse peuplée de gens à la triste mine.
Le message est clair.



La "réussite" de Tony Montana.


SCARFACE donne cette impression malaisante mais fascinante que ses personnages portent tous l'épée de Damocles au-dessus de leur tête dès les premières minutes, qui posent de suite un climat déprimant et impitoyable.

Assister à la chute d’un homme restera toujours étrangement fascinant... Le culte de Montana, qui touche des gens de tous bords sociaux, vient aussi très certainement de là.


Brian de Palma est un grand (CARRIE, PULSION, BLOW OUT, LES INCORRUPTIBLES, FURIE, M:I, BODY DOUBLE...), tout comme Oliver Stone ici en scénariste (CONAN LE BARBARE, MIDNIGHT EXPRESS, PLATOON, YEAR OF THE DRAGON, JFK…).

Al Pacino, qui signe ici l'un des plus grands rôles de sa carrière, retrouvera de Palma à l'occasion d'un autre chef d'oeuvre : L'IMPASSE (CARLITO'S WAY), qui peut être vu comme une sorte de suite à SCARFACE.


Arthur Cauras.





Movie clip: