jeudi 26 août 2021

BLACK SUMMER (série de John Hyams, 2019)




BLACK SUMMER
(série créée par John Hyams & Karl Schaefer, 2019)


BLACK SUMMER est une série hélas noyée dans le sous-genre sur-saturé du film de zombies et d’infectés qui est revenu en force depuis une vingtaine d’années. Sur des centaines de films sortis, les réussites se comptent sur les doigts des 2 mains, et sorti des incontournables DERNIER TRAIN POUR BUSAN (Yeon, 2016), DAWN OF THE DEAD (Snyder, 2004) ou encore [REC] (Balaguero & Plaza, 2007), et des tentatives originales et respectables comme MAGGIE (Hobson, 2015), il y a énormément de déchets.


DÉGRAISSÉ JUSQU’A L’OS

BLACK SUMMER n’est peut-être pas une série parfaite, mais elle fait toutefois paradoxalement un bien fou à ce sous-genre, devenu bien fatigant et rébarbatif au fil des années.

Le concept de base de cette série semble d'avoir cherché a épurer au maximum la narration, afin de laisser (sur)vivre les différents protagonistes dans une situation d’urgence où il n’y a plus aucune règle.

Il n’y a pas vraiment d’arcs narratifs, ni d’enjeux, tout simplement parce que les personnages sont perdus, chamboulés, ne savent pas quoi faire ni ou aller. Si dans les premiers épisodes il est question d’un éventuel salut militaire dans un grand stade en-dehors de la petite bourgade où se déroule l’action, il est finalement vite mis de côté, et la série se focalise sur la survie au jour le jour des personnages, seuls ou en groupes.

L’intérêt n’est pas non plus de savoir d’où vient l’infection, ni d’assister à des scènes gore où les infectés dévorent et démembrent les divers personnages. Il est autre part; sur la tension, la peur de se faire attraper, et la survie au milieu du vide — urbain dans la saison 1, enneigé dans la saison 2. La mise en scène s'efforce de transcender tout ça à chaque instant, d'optimiser chaque parcelle de décor, et y arrive avec brio.

Le sempiternel groupe de survivants
de toute histoire de zombies... Sauf que.


Le premier épisode peut de ce fait dérouter : on doit accepter cette épure ainsi qu'une construction en chapitres dont les titres sont soit le nom des protagonistes qu’on va découvrir, soit des mots-clés de choses ou d’actions qui vont être essentielles pour que ces individus avancent — ou tombent.


PERSONNAGES RÉALISTES

Ainsi donc, il ne faut pas s’attendre particulièrement à ce que tel personnage qu’on découvre le temps d’un chapitre finisse par rejoindre le groupe présenté comme principal auparavant : tout peut s’arrêter d’une traite le concernant, ou bien il peut rester en solitaire. De la même manière, un groupe peut éclater à cause d’une situation violente, et les personnages ne plus jamais se recroiser. Comme dans la réalité, serait-on tenter de dire. Tout est donc articulé autour de personnages et de relations simples, réalistes et crédibles, et amène à des scènes de tension véritablement stressantes.

Ces petites tranches de vie évoquent parfois certains courts passages du roman-fleuve LE FLÉAU de Stephen King, lorsque celui-ci faisait une pause dans sa colossale narration principale, pour s'intéresser à la fin de vie de quelques quidams errant dans une société purgée de 99% de la race humaine, tâchant de trouver un sens à leur vie solitaire et à s'en sortir vainement. Enfant de 5 ans y comprit.

Dans cet ordre d'idée, on a donc par exemple ce pauvre type en mal de confiance et un peu maladroit, qui durant l'intégralité d'un épisode, joue au chat et à la souris avec un seul infecté. Ce gars pas forcément très charismatique vient d’un groupe au sein duquel il n’arrivait pas à se faire respecter, ni à nouer de liens amicaux... ironiquement, il va finir par attirer l'attention de quelqu'un : un ancien « ami », devenu infecté, qui va le ventouser pendant 30 minutes !

Tranches de vies de personnages ordinaires.

Là encore, peu de narration, si ce n’est de l’action et de l’observation de débrouillardise où il n’y a pas droit à l’erreur. Car ces héros n'ont rien de « badass », ils doutent, doivent faire des choix très vite et qui peuvent s’avérer catastrophiques pour eux : dans ce cas tout s’arrête sans pitié, comme dans la réalité. Ils se révèlent par leurs actions, au fur-et-à-mesure ou d’une seule traite.

Il y a aussi cet épisode avec ses influences de plans à la SHINING (Kubrick, 1980) et surtout sa grosse référence au film LES RÉVOLTÉS DE L’AN 2000 (
Serrador, 1976). L’idée des enfants tendant des traquenards létaux aux adultes est aussi bien pensée que malaisante. Les personnages de Spears, le faux militaire, et de Rose fonctionnent très bien, et à nouveau la série transcende son petit budget et son seul endroit (un collège abandonné) en mettant en place des scènes de poursuites haletantes.


JOHN HYAMS

Derrière cette série, il y a deux hommes dont John Hyams, fils de Peter Hyams, bien connu des amateurs de cinéma d’action et d’horreur. Hyams est très clairement l’un des cinéastes contemporains de Série B les plus intéressant qui soit, il est extrêmement doué pour transcender ses petits budgets... Les trois films qu’il a tourné avec Jean-Claude Van Damme ou encore ALONE en attestent largement.

On retrouve son univers régulièrement, comme dans l’épisode d’ailleurs conté façon RASHOMON (plusieurs points de vue d’une même situation avec les retours dans le passé inhérents à ce concept), où les héros arrivent dans un endroit militarisé qui est aussi un lieu de débauche évoquant la scène du bordel d’UNIVERSAL SOLDIER - DAY OF RECKONING, et cette fuite pour la survie des personnages avec lumières stroboscopiques / lumières d’état d’urgence rappelant là-aussi le même film dans son climax « Kurtzien ». On a également souvent l'utilisation inspirée de la profondeur de champ dont il faisait montre dans le 3ème volet d’UNIVERSAL SOLDIER, et tout ce qui est combat est très réussi et brutal, pas étonnant venant de la part d'un grand connaisseur de MMA (voir son excellent documentaire THE SMASHING MACHINE sur le champion déchu Mark Kerr).
Enfin, son emploi si singulier du sound design — qui se meut lentement en musique sourde et angoissante avant de se résorber, fait ici aussi son office.


Niveau esthétique, Hyams travaille continuellement une simili lumière naturelle, très belle, poussant les hautes lumières, la surexposition de certains plans, le placement d’éclairages artificiels directement dans le cadre pour en bénéficier (lampes à gaz, torches, flammes des armes). Tout ceci n’est pas sans rappeler la patte de papa Peter Hyams, qui excellait dans l’usage du clair-obscur dans ses films.

L’intelligence de la mise en scène de John Hyams permet de contourner l'étroitesse du budget tout en répondant à l'urgence du récit ; les scènes sont pensées en majorité comme une succession de faux plans séquences très immersifs, rappelant qu'Hyams aime particulièrement cet exercice qu'il réussit avec brio depuis ses débuts (cf. la scène de flashback dans le garage de DRAGON EYES). Il y a une véritable o
ptimisation des décors qui sont filmés sous toutes les coutures pour les rentabiliser et surtout les rendre anxiogènes. 
La direction d'acteurs est très bonne, et les états d’âme et déviances des personnages captés dans des plans qui durent, caméra épaule, créent de véritables moments de malaise même lors de séquences plus statiques que les nombreuses courses-poursuites entre humains et infectés.


TENSION CONSTANTE

BLACK SUMMER est en effet bardé de passages oppressants. Comme ce jaugeage durant la saison 1 entre véhicules qui roulent au pas dans une banlieue désertée, avant que ça ne parte en course-poursuite létale, ou tout ce qui se passe dans le manoir de la saison 2, avec ces petits groupes se regardant en chien de faïence — l’un des personnages remémorant partiellement le très malsain Bobby de THE DIVIDE (Gens, 2011).

Les auteurs parviennent rapidement à nous faire assimiler le fait que la vie de chacun ne tient qu’à un fil, et l’évolution de certains personnages principaux fait froid dans le dos, dont Rose pour ne pas la citer, cette mère de famille se déshumanisant en allant 
réellement trop loin pour préserver sa fille, qui suit fatalement le même chemin qu'elle. Sa relation agressive avec le "bonimenteur" (que personne ne croit jamais, à tord) est assez angoissante, tout comme celle entre le dénommé Spears (duquel on apprend le passé peu reluisant) et un autre solitaire, alors qu'il est totalement perdu et blessé.

Spears se dévoile un peu plus lors d'un épisode
lui étant consacré... pour le meilleur et pour le pire.

On ne sait jamais à qui se fier, l’idée du chaos général ayant fait perdre les pédales à la majorité des gens est ici très bien retranscrite. Ainsi, quand on voit pour la première fois William, qui deviendra l’un des attachants personnages principaux, on s’attend à ce que ce soit une pourriture car il opère exactement de la même manière qu’un homme ayant faussement montré patte blanche pour pouvoir monter dans la voiture d'une femme, en amont.

Lorsque des personnages en braquent d’autres, surtout quand il nous sont sympathiques, on frémit. Car la série ne nous concède aucun moment de répit, et ne montre aucune merci envers qui que ce soit. De la même manière, certains protagonistes attachants nous deviennent progressivement antipathiques, comme Rose et sa fille, guère fréquentables. Ici, être gentil et empathique ne paye jamais vraiment.

Le scénario joue également régulièrement avec nos nerfs via l’utilisation de points de vues différés dans le temps. On commence une scène choqué par la brutalité d’un personnage vis-à-vis d’un autre. Plus tard, on voit le fondement de cette agressivité. Ca nous met intelligemment en situation d'incertitude en ce qui concerne le bien fondé de certaines actions. On pense par exemple à la radicalité de Rose en fin de saison 2, au début d'un épisode, avant qu'on ne comprenne mieux son geste par un retour en arrière depuis son point de vue.


SAISON 3 ATTENDUE

Alors oui, BLACK SUMMER n'est pas dénué de défauts : on devine parfois la fin de certains personnages qui n'avaient d'intérêt qu'au sein d'un duo venant d'être brisé, certaines ellipses sont un peu violentes, un personnage sympathique et important meurt de façon éludée, de dos et perdu dans un plan séquence en caméra épaule...
Mais ceci n'est rien comparé à l'énergie du projet, à son premier degré bienvenu, ses relations tendues et complexes entre personnages affolés, et aux astuces constantes pour élever avec talent le niveau de l'ensemble.
Sorti de la saison 2, on a clairement envie de voir la suite.


- Arthur Cauras.