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jeudi 26 août 2021

BLACK SUMMER (série de John Hyams, 2019)




BLACK SUMMER
(série créée par John Hyams & Karl Schaefer, 2019)


BLACK SUMMER est une série hélas noyée dans le sous-genre sur-saturé du film de zombies et d’infectés qui est revenu en force depuis une vingtaine d’années. Sur des centaines de films sortis, les réussites se comptent sur les doigts des 2 mains, et sorti des incontournables DERNIER TRAIN POUR BUSAN (Yeon, 2016), DAWN OF THE DEAD (Snyder, 2004) ou encore [REC] (Balaguero & Plaza, 2007), et des tentatives originales et respectables comme MAGGIE (Hobson, 2015), il y a énormément de déchets.


DÉGRAISSÉ JUSQU’A L’OS

BLACK SUMMER n’est peut-être pas une série parfaite, mais elle fait toutefois paradoxalement un bien fou à ce sous-genre, devenu bien fatigant et rébarbatif au fil des années.

Le concept de base de cette série semble d'avoir cherché a épurer au maximum la narration, afin de laisser (sur)vivre les différents protagonistes dans une situation d’urgence où il n’y a plus aucune règle.

Il n’y a pas vraiment d’arcs narratifs, ni d’enjeux, tout simplement parce que les personnages sont perdus, chamboulés, ne savent pas quoi faire ni ou aller. Si dans les premiers épisodes il est question d’un éventuel salut militaire dans un grand stade en-dehors de la petite bourgade où se déroule l’action, il est finalement vite mis de côté, et la série se focalise sur la survie au jour le jour des personnages, seuls ou en groupes.

L’intérêt n’est pas non plus de savoir d’où vient l’infection, ni d’assister à des scènes gore où les infectés dévorent et démembrent les divers personnages. Il est autre part; sur la tension, la peur de se faire attraper, et la survie au milieu du vide — urbain dans la saison 1, enneigé dans la saison 2. La mise en scène s'efforce de transcender tout ça à chaque instant, d'optimiser chaque parcelle de décor, et y arrive avec brio.

Le sempiternel groupe de survivants
de toute histoire de zombies... Sauf que.


Le premier épisode peut de ce fait dérouter : on doit accepter cette épure ainsi qu'une construction en chapitres dont les titres sont soit le nom des protagonistes qu’on va découvrir, soit des mots-clés de choses ou d’actions qui vont être essentielles pour que ces individus avancent — ou tombent.


PERSONNAGES RÉALISTES

Ainsi donc, il ne faut pas s’attendre particulièrement à ce que tel personnage qu’on découvre le temps d’un chapitre finisse par rejoindre le groupe présenté comme principal auparavant : tout peut s’arrêter d’une traite le concernant, ou bien il peut rester en solitaire. De la même manière, un groupe peut éclater à cause d’une situation violente, et les personnages ne plus jamais se recroiser. Comme dans la réalité, serait-on tenter de dire. Tout est donc articulé autour de personnages et de relations simples, réalistes et crédibles, et amène à des scènes de tension véritablement stressantes.

Ces petites tranches de vie évoquent parfois certains courts passages du roman-fleuve LE FLÉAU de Stephen King, lorsque celui-ci faisait une pause dans sa colossale narration principale, pour s'intéresser à la fin de vie de quelques quidams errant dans une société purgée de 99% de la race humaine, tâchant de trouver un sens à leur vie solitaire et à s'en sortir vainement. Enfant de 5 ans y comprit.

Dans cet ordre d'idée, on a donc par exemple ce pauvre type en mal de confiance et un peu maladroit, qui durant l'intégralité d'un épisode, joue au chat et à la souris avec un seul infecté. Ce gars pas forcément très charismatique vient d’un groupe au sein duquel il n’arrivait pas à se faire respecter, ni à nouer de liens amicaux... ironiquement, il va finir par attirer l'attention de quelqu'un : un ancien « ami », devenu infecté, qui va le ventouser pendant 30 minutes !

Tranches de vies de personnages ordinaires.

Là encore, peu de narration, si ce n’est de l’action et de l’observation de débrouillardise où il n’y a pas droit à l’erreur. Car ces héros n'ont rien de « badass », ils doutent, doivent faire des choix très vite et qui peuvent s’avérer catastrophiques pour eux : dans ce cas tout s’arrête sans pitié, comme dans la réalité. Ils se révèlent par leurs actions, au fur-et-à-mesure ou d’une seule traite.

Il y a aussi cet épisode avec ses influences de plans à la SHINING (Kubrick, 1980) et surtout sa grosse référence au film LES RÉVOLTÉS DE L’AN 2000 (
Serrador, 1976). L’idée des enfants tendant des traquenards létaux aux adultes est aussi bien pensée que malaisante. Les personnages de Spears, le faux militaire, et de Rose fonctionnent très bien, et à nouveau la série transcende son petit budget et son seul endroit (un collège abandonné) en mettant en place des scènes de poursuites haletantes.


JOHN HYAMS

Derrière cette série, il y a deux hommes dont John Hyams, fils de Peter Hyams, bien connu des amateurs de cinéma d’action et d’horreur. Hyams est très clairement l’un des cinéastes contemporains de Série B les plus intéressant qui soit, il est extrêmement doué pour transcender ses petits budgets... Les trois films qu’il a tourné avec Jean-Claude Van Damme ou encore ALONE en attestent largement.

On retrouve son univers régulièrement, comme dans l’épisode d’ailleurs conté façon RASHOMON (plusieurs points de vue d’une même situation avec les retours dans le passé inhérents à ce concept), où les héros arrivent dans un endroit militarisé qui est aussi un lieu de débauche évoquant la scène du bordel d’UNIVERSAL SOLDIER - DAY OF RECKONING, et cette fuite pour la survie des personnages avec lumières stroboscopiques / lumières d’état d’urgence rappelant là-aussi le même film dans son climax « Kurtzien ». On a également souvent l'utilisation inspirée de la profondeur de champ dont il faisait montre dans le 3ème volet d’UNIVERSAL SOLDIER, et tout ce qui est combat est très réussi et brutal, pas étonnant venant de la part d'un grand connaisseur de MMA (voir son excellent documentaire THE SMASHING MACHINE sur le champion déchu Mark Kerr).
Enfin, son emploi si singulier du sound design — qui se meut lentement en musique sourde et angoissante avant de se résorber, fait ici aussi son office.


Niveau esthétique, Hyams travaille continuellement une simili lumière naturelle, très belle, poussant les hautes lumières, la surexposition de certains plans, le placement d’éclairages artificiels directement dans le cadre pour en bénéficier (lampes à gaz, torches, flammes des armes). Tout ceci n’est pas sans rappeler la patte de papa Peter Hyams, qui excellait dans l’usage du clair-obscur dans ses films.

L’intelligence de la mise en scène de John Hyams permet de contourner l'étroitesse du budget tout en répondant à l'urgence du récit ; les scènes sont pensées en majorité comme une succession de faux plans séquences très immersifs, rappelant qu'Hyams aime particulièrement cet exercice qu'il réussit avec brio depuis ses débuts (cf. la scène de flashback dans le garage de DRAGON EYES). Il y a une véritable o
ptimisation des décors qui sont filmés sous toutes les coutures pour les rentabiliser et surtout les rendre anxiogènes. 
La direction d'acteurs est très bonne, et les états d’âme et déviances des personnages captés dans des plans qui durent, caméra épaule, créent de véritables moments de malaise même lors de séquences plus statiques que les nombreuses courses-poursuites entre humains et infectés.


TENSION CONSTANTE

BLACK SUMMER est en effet bardé de passages oppressants. Comme ce jaugeage durant la saison 1 entre véhicules qui roulent au pas dans une banlieue désertée, avant que ça ne parte en course-poursuite létale, ou tout ce qui se passe dans le manoir de la saison 2, avec ces petits groupes se regardant en chien de faïence — l’un des personnages remémorant partiellement le très malsain Bobby de THE DIVIDE (Gens, 2011).

Les auteurs parviennent rapidement à nous faire assimiler le fait que la vie de chacun ne tient qu’à un fil, et l’évolution de certains personnages principaux fait froid dans le dos, dont Rose pour ne pas la citer, cette mère de famille se déshumanisant en allant 
réellement trop loin pour préserver sa fille, qui suit fatalement le même chemin qu'elle. Sa relation agressive avec le "bonimenteur" (que personne ne croit jamais, à tord) est assez angoissante, tout comme celle entre le dénommé Spears (duquel on apprend le passé peu reluisant) et un autre solitaire, alors qu'il est totalement perdu et blessé.

Spears se dévoile un peu plus lors d'un épisode
lui étant consacré... pour le meilleur et pour le pire.

On ne sait jamais à qui se fier, l’idée du chaos général ayant fait perdre les pédales à la majorité des gens est ici très bien retranscrite. Ainsi, quand on voit pour la première fois William, qui deviendra l’un des attachants personnages principaux, on s’attend à ce que ce soit une pourriture car il opère exactement de la même manière qu’un homme ayant faussement montré patte blanche pour pouvoir monter dans la voiture d'une femme, en amont.

Lorsque des personnages en braquent d’autres, surtout quand il nous sont sympathiques, on frémit. Car la série ne nous concède aucun moment de répit, et ne montre aucune merci envers qui que ce soit. De la même manière, certains protagonistes attachants nous deviennent progressivement antipathiques, comme Rose et sa fille, guère fréquentables. Ici, être gentil et empathique ne paye jamais vraiment.

Le scénario joue également régulièrement avec nos nerfs via l’utilisation de points de vues différés dans le temps. On commence une scène choqué par la brutalité d’un personnage vis-à-vis d’un autre. Plus tard, on voit le fondement de cette agressivité. Ca nous met intelligemment en situation d'incertitude en ce qui concerne le bien fondé de certaines actions. On pense par exemple à la radicalité de Rose en fin de saison 2, au début d'un épisode, avant qu'on ne comprenne mieux son geste par un retour en arrière depuis son point de vue.


SAISON 3 ATTENDUE

Alors oui, BLACK SUMMER n'est pas dénué de défauts : on devine parfois la fin de certains personnages qui n'avaient d'intérêt qu'au sein d'un duo venant d'être brisé, certaines ellipses sont un peu violentes, un personnage sympathique et important meurt de façon éludée, de dos et perdu dans un plan séquence en caméra épaule...
Mais ceci n'est rien comparé à l'énergie du projet, à son premier degré bienvenu, ses relations tendues et complexes entre personnages affolés, et aux astuces constantes pour élever avec talent le niveau de l'ensemble.
Sorti de la saison 2, on a clairement envie de voir la suite.


- Arthur Cauras.
















dimanche 22 mars 2020

DREDD



DREDD
(Phil Travis / Alex Garland - 2012)



Ce reboot du fameux comics déjà adapté via le médiocre film de 1995 avec Stallone ne fait pas dans la dentelle, tout en sachant judicieusement composer avec un budget serré pour un film de Science-Fiction.

Ainsi, ce scénario implacable dans son efficacité écrit par l'excellent Alex Garland (28 JOURS PLUS TARD, SUNSHINE à son palmarès scénar au rayon SF à l'époque) montre une société futuriste tentaculaire, ayant englobée plusieurs grandes villes US en une seule, dans laquelle les criminels sont traqués et jugés directement par les Juges.

L'un des plus fameux Juges, Dredd, est envoyé en mission dans un gigantesque building de 200 étages et plusieurs km de haut, QG des revendeurs d'une nouvelle drogue. La boss du gang, Ma-Ma, montre très vite qu'elle ne blague pas des masses, et enclenche le processus martial qui fait se verrouiller le bâtiment.
Affublé d'Anderson, une nouvelle recrue à former qui a des dons de télépathe, Dredd se retrouve pris au piège face à des centaines de malfrats armés jusqu'aux dents. La boucherie peut commencer...

Contrairement à ce que disent les crédits de DREDD, ce n'est pas Phil Travis mais bien Alex Garland, également producteur, qui a réalisé cette nouvelle adaptation. Karl Urban a confirmé il y a 1 an que Travis n'avait été crédité que pour raisons juridiques.


L'équipe de DREDD a généreusement dépensé chacun des dollars à l'écran. 

A l'occasion de son 1er film officieux en tant que réalisateur, cet artiste multi-casquettes (romancier, scénariste cinéma, TV et jeux vidéos, et donc réalisateur) nous confectionne une véritable pépite d'actionner, comme rarement on peut voir, où un concept simple ne sombre pourtant jamais dans le simplisme, étayant son univers et l'arc narratif de ses personnages tout au long du déroulement de l'histoire.

Façonner des protagonistes juste ce qu'il faut au gré d'un récit dans l'urgence : on côtoie un mode de fonctionnement proche des scénarios béton d'ALIEN ou encore TERMINATOR.

Finalement, on ne saura rien de Dredd (Karl Urban réussissant, quelque part, à jouer seulement avec sa bouche!). Finalement, on ne saura que 2 petites choses d'Anderson. Finalement, on ne saura qu'un élément du passé de Ma-Ma. Et pourtant, tous ces personnages vivent, fonctionnent, et sont attachants.
Dredd est véritablement une incarnation de la justice, absolument inébranlable, la machine avec un grand M, qui avance en bélier, ne connait pas la peur... Tous les personnages secondaires sont traités de la sorte, sans fioriture (les 4 autres Juges, les petites frappes, la mère dans son appart, etc).
Et tout ça, sans tomber dans la beauferie. Assez intéressant comme cas d'école, d'ailleurs.

Garland, malin, sachant autant ce que veut un amateur de SF qu'un amateur d'actionner, élève l'action via des idées originales dans un milieu de bourrinage avéré comme celui d'une adaptation DREDD, dont les plus intéressantes sont la drogue Slo-mo et les visions télépathiques de sa partenaire.

Anderson peut donc lire dans les pensées, ce qui fait régulièrement avancer l'histoire sans user de Deus Ex Machina (travers scénaristique du "comme par hasard ça se débloque maintenant"), mais aussi créer des moments amusants (l'ascenseur) et donner vie aux fantasmes d'un sale type, pour mieux les retourner contre lui.

La Slo-mo est donc la drogue du moment, faisant défiler le temps 100 fois moins vite pour le consommateur... Vicieux, Garland nous place donc régulièrement du point de vue des drogués, le temps de séquences gores et spectaculaires en extrême ralenti, que ce soit des chutes sans fin, des perforations de balles ou des concassages de faciès qu'on aurait du mal à voir dans des films de studio. Des passages non dénués d'une dose de poésie : les couleurs se saturent, l'image chatoyante se sur-expose et scintille comme dans un rêve, avant que le montage ne retourne à une vitesse normale, soulignant la violence des gunfights.
Macabrement fascinant !

Le concept de la drogue Slo-Mo permet de beaux moments "onirico-glauques".

Dans DREDD, la sensation d'urgence ne faiblit pas, sans non plus nous bassiner, on parcourt captivés ce monde à huis-clos, témoins de la violence des Juges pour parvenir à leurs fins (déboitage de gorge, incinération, coups de feu dans le pied, les multiples types de munitions) et aussi, on s'abstient de l'avalanche de punchlines (Dieu merci) !
Tout ça au sein d'une Direction Artistique aux petits oignons réussissant là-encore la synthèse et l'efficacité, très loin d'être cheap.

DREDD fera peut-être penser à THE RAID qui part du même concept. Normal, puisqu'il paraît que son réalisateur aura lu le scénario du 1er quelques années en amont...

Dégraissé jusqu'à l'os, bien rodé et efficace, le film de Garland est passé inaperçu en salles US et nous est donc arrivé directement en vidéo...

Très injuste pour l'un des meilleurs films d'action / anticipation de cette dernière décennie !


Arthur Cauras.


https://www.youtube.com/watch?v=bCkEA-IeT8k

dimanche 26 janvier 2020

TOP CINE 2010's : THE DIVIDE



THE DIVIDE
(Xavier Gens - 2011)

Après une frappe nucléaire, une poignée de rescapés part s'abriter dans un sous-sol aménagé par Mickey (Michael Biehn), le gardien de l'immeuble ancien pompier. L'isolation, la faim et le désespoir font lentement sombrer tout ce petit monde dans la déchéance.





Après FRONTIERE(s), le survival dans lequel des jeunes de cité étaient confrontés à des Néo-nazis cannibales (!) et HITMAN, film de commande envoyant la sauce niveau action, il était difficile d'imaginer se prendre un tel OVNI en pleine tête à l’occasion du 3ème film de Xavier Gens.


NAISSANCE DANS LE CHAOS

Au départ lui aussi prévu comme un survival, avec kill-count opéré par une créature lors de scènes d'action horrifiques, THE DIVIDE va être tué dans l’oeuf quand ses financiers initiaux lâcheront le film au moment de la préparation. Il renaîtra dans la foulée et dans la douleur, par le biais d’une nouvelle production arrivée pour sauver tout le travail déjà effectué sur les décors et les costumes.
Le tournage en est repoussé et le casting initial drastiquement modifié : exit Melissa George en Eva et Robert Patrick en Mickey, remplacés par Lauren German (MASSACRE A LA TRONÇONNEUSE) et Michael Biehn (TERMINATOR).
L'équipe change partiellement, le budget se resserre, mais le réalisateur Xavier Gens et ses acolytes sont plus que jamais motivés, surmontant cet obstacle en le transcendant : les mécènes salvateurs ne sont en effet pas regardant sur le ton employé ni sur ce qui sera vraiment narré…

Gens et ses scénaristes se lancent alors dans un véritable nettoyage de printemps ; ils peuvent remanier intégralement le scénario sans risque de censure de la part de la production, le faisant passer du simple slasher se déroulant dans un réseau de caves à... une description aussi juste et sans concession de l'espèce humaine quand elle se retrouve acculée dans une situation sans issue.
Exit la morale bien pensante, le fun ou la préoccupation de ne pas trop secouer le public : le propos de survivance est poussé au bout de son concept, et le portrait sociologique et psychologique qui en resort est d’une noirceur rarement vue sur un écran. 


Le vernis social ne va pas tarder à s'écailler...

Les nouveaux comédiens sont directement mis dans le bain quand Xavier Gens leur donne à voir comme référence SALO OU LES 120 JOURNEES DE SODOME... Ils apportent eux aussi énormément au projet, et s’approprient totalement le script qui est ré-écrit au jour-le-jour.
Recevant les nouvelles pages du scénario la veille de chaque journée de tournage, ils se regroupent, vivent ensemble comme les personnages en suivant la Méthode, et profitent du fait que l’histoire soit filmée dans l’ordre chronologique - fait rare dans l’industrie du cinéma. Perte de poids et sous-nutrition sont de mise pour retranscrire la lente déchéance de cette collectivité de survivants, pour leur donner une véritable densité.


DU DESESPOIR NAÎT LE MAL

Une fois arrivés dans ce sanctuaire inespéré, les personnages voient leurs profils assez lisses et conventionnels voler rapidement en éclats. Les cartes sont redistribuées, et la désespérance va révéler les véritables personnalités : sociopathes sans foi ni loi pour certains, lâches évitant à tout prix les problèmes pour d’autres… Jusque dans sa fin, durant laquelle THE DIVIDE traite de cette thématique de la médiocrité humaine, sous couvert de la volonté de survivre.
Parmi les personnages traumatisant, difficile de ne pas être affecté par Marilyn (Rosana Arquette), la mère de famille privée de son enfant, qui essaye d’atténuer la souffrance de son deuil en cherchant un semblant d’amour auprès de Bobby, homme plus proche du pleutre (voir l’attaque des militaires) que du super-héros… Effet boule de neige ; ça enclenche chez lui la volonté de devenir mâle alpha, lui qui d’autre part se perd sexuellement (maquillage grossier, port de robe montrant également sa domination totale sur la personne à qui elle appartient). 


La déchéance de Bobby (Michael Eklund) l'amenant
sur le terrain très malsain de la domination de groupe.

THE DIVIDE aligne donc aussi des gentils, des soumis, des suiveurs, des empathiques et des dociles… qui sont les premiers à souffrir et/ou à passer à la casserole : la loi du plus fort - du plus sale et sans pitié surtout, même lorsqu’il n’y a plus de lendemain, prédomine. Le groupe est pourtant, quoi qu’on en pense, constitué de battants et de battantes : personne ne cherche jamais à se suicider, quand bien même le contexte est atroce.
Marilyn connait ce rapport dominé/dominant, et cherche à l’expliquer à Eva lors d’un moment de lucidité alors qu’elle est aux prises avec Bobby : « Tu connais les hommes… tu sais ce qui va se passer… ce qui est en train de se passer. »
Les personnalités trop effacées, ne voulant pas le conflit, sont fatalement écrasées, finissant par en mourir. Voir le compagnon d’Eva, Sam, qui devient rapidement une des têtes de turc, littéralement rabaissé au niveau de chien par le duo des Alphas, et qui subit également le délitement de son couple. Eva sent qu’il n’est pas au niveau pour survivre dans cet univers ? Qu’il est trop gentil, tendre et conciliant, d’où la décision de son abandon final ? Très certainement.

« Les autres sont au fond ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes pour notre propre connaissance de nous-mêmes », dira Sartre en préambule à l'enregistrement phonographique de sa fameuse pièce HUIS CLOS en 1965.
Ce qui pourrait également être celui de THE DIVIDE… Et ce qu’on voit est vraiment peu reluisant. Le dernier geste de Bobby envers son « frère » Josh est lourd de signification.





UNIVERS DÉSOLÉ… UN PEU FAMILIER

Devant THE DIVIDE, on se rappelle MALEVIL (1981); même si le film de Christian de Chalonge fait sortir ses rescapés de leur abri… pour retomber dans les clivages bellicistes primaires que l’homme connait depuis ses origines.

Avec ses airs de dégât collatéral - comme si on s’intéressait à un des minuscules groupes de survivants faisant parti d’une vaste catastrophe, THE DIVIDE fait également penser aux chapitres façon « faits divers » du roman-fleuve LE FLÉAU (1978) de Stephen King.
Ces passages aussi inattendus que choquant, lorsque l'écrivain nous dépeint le sort de « figurants » de la vie courante : une vierge effarouchée, un petit garçon de 5 ans, un fervent catholique ayant perdu ses 12 enfants, etc, tous mangeant la gamelle absolument sans aucune pitié, minuscules au sein d’une tragédie d’une ampleur colossale…
Parce que c’est aussi ça, la vie, nous fait comprendre King. Le couperet tombe, sans se soucier sur qui et pourquoi. Ca tombe. Et personne n’en saura d’ailleurs jamais rien ; le cycle continue. De la même manière qu’on ne se soucie pas de la fourmi qui là, dehors, vient de se faire écraser sans raison par une chaussure. Tragédie pour elle, mais grand rien dans l’absolu.




Enfin, difficile de ne pas évoquer la bande-dessinée de Corben / Ennis, PUNISHER - LA FIN (2011), très voisine dans la cruauté, le désespoir et l’absence de concession qui l’habitent, montrant les responsables de la fin du monde, terrés comme des pleutres privilégiés dans leur bunker souterrain, être débusqués par le célèbre justicier extrémiste, en route pour son ultime mission.
Une préquelle / suite de ce goût se prêterait d’ailleurs tellement bien à THE DIVIDE, dans l’optique d’un univers étendu !


LE MIROIR

L’une des séquences les plus marquantes du film est celle où Bobby se fait tondre le crâne en plan séquence. Un moment anodin de prime abord, sur le papier… Sauf que l’excellent acteur Michael Eklund parvient à faire passer l’idée que sa dernière parcelle d'humanité se désagrège en même temps que ses cheveux tombent, appuyé par une musique des plus mélancoliques.
La suite enfonce le clou, bien entendu, lorsque le duo nuisible s’observe dans le miroir : "Look at us... We are the same." (« Regarde-nous… On est pareils »). En nous fixant bien,  nous spectateurs, directement au travers de l’objectif de la caméra.


Une scène aussi déprimante que glaçante.

THE DIVIDE fait réfléchir et met profondément mal à l'aise, implacable, impossible à contredire dans son propos nihiliste. Voir ces individus tomber toujours plus bas moralement ou physiquement (perte de dents, de cheveux) ne peut laisser indifférent. Assister au funeste destin de ceux qui étaient bons et altruistes - qui ont certes au moins la faible compensation d'avoir leur conscience pour eux, est également dévastateur. Le tout dans un endroit qui aurait du leur apporter la sérénité d'une mort retardée et apaisée, à défaut de les sauver ad vitam aeternam...

Revoir le début du film, et ainsi retrouver tous les protagonistes normaux et en bonne santé fuyant instinctivement le feu nucléaire, appuie également le sentiment désespérant de l'entreprise : nul doute que si ces personnages pouvaient voir ce qu'ils sont sur le point de devenir et de subir, ils préféreraient certainement rester périr à la surface... Y compris les abominables Josh et Bobby.




Passant à première vue pour une série B de divertissement, le film de Xavier Gens est aussi captivant que vraiment rude, un huis-clos qui agit insidieusement, infusant le moral du spectateur.

Mais se prendre ponctuellement un coup de barre à mine en plein museau, se faire dresser un miroir disgracieux mais réaliste devant soi, est toujours un mal nécessaire.


- Look at us... Look at us. We're the same.


Arthur Cauras.