mardi 3 octobre 2023

BUG (William Friedkin - 2006)



BUG
(William Friedkin - 2006)


On dit souvent qu'un film se bonifie avec l'âge. Le 18e film de William Friedkin a vu sa puissance croître et devenir plus imparable que jamais depuis 2006... En effet, il y est question de paranoïa et de complotisme. Ca, c'est la première lecture. La seconde propose bien évidemment une zone grise, un état de doute constant chez le spectateur comme a toujours aimé le créer Hurricane Billy. Car pour lui, le cinéma est un art, et on fait de l'art en poussant les gens à la réflexion et au débat, en les troublant.

En partant de ce postulat, on peut dire que BUG est l'un de ses films les plus aboutis -- et également l'un de ses plus rudes et sombres.

Le film, issu d'une pièce de théâtre, raconte comment une femme très fragilisée par la disparition de son enfant de 4 ans, va rencontrer un ancien militaire meurtri par la guerre et des expériences scientifiques de l'armée... visant à injecter des insectes sous la peau des soldats.


Bien sûr, les spectateurs qui vont voir BUG sur le postulat de la tagline de l'affiche "par le réalisateur de L'EXORCISTE" en seront pour leurs frais, tout comme à l'époque, ça avait été le cas pour ceux ayant été à la projection de SORCERER, en pensant que le titre allait amener quelque chose de fantastique de l'acabit du chef d'oeuvre de 1973.

Le doute est distillé durant tout le film (à quel point le récit du militaire est vrai?), même si certains indices sont là, comme le papier tue-mouches et les vibrations à l'intérieur de la pièce par rapport à ce que l'on perçoit de l'extérieur (encore faudrait-il prendre en compte le fait que l'extérieur n'est pas une projection mentale). Toujours est-il que le tour de force de BUG est sa propension à nous mettre dans la peau (c'est le cas de le dire) de gens brisés par la vie, complètement élimés et tellement en déperdition qu'ils sont prêts à se raccrocher à n'importe quel signal lumineux, aussi tordu soit-il, pour émerger ne serait-ce qu'un minimum du fond du trou dans lequel ils sont enterrés.

Le couple, la fusion de ces deux êtres, et l'acmé de leur relation est d'une fatalité tant logique que déprimante. C'est le nihilisme propre au cinéma de Friedkin sous sa forme la plus cinglante.


Au cinéma, vous avez la paranoïa façon X-FILES, avec des héros qui cherchent à prouver un grand complot, et le combattent avec force rebondissements et alliés / traîtres / ennemis. Et vous avez celle de Friedkin, où rien n'est épique, tout est une question de mal-être et de tourments infinis. La solitude face aux autres, contre la solitude face à soi-même.

Au passage, le dialogue de la dernière séquence, où "le puzzle se met en place", où l'héroïne épouse les idées et le point de vue du militaire, dans une chute inexorable, est absolument prodigieux, et touche certainement du doigt ce qui peut se passer dans l'esprit de personnes finissant par se perdre dans des idéologies radicales, depuis l'avènement des sociétés modernes et pour longtemps encore, à n'en pas douter.

BUG a été réalisé dans le dur : 20 jours de tournage, un incendie qui ravage le décor et quelques jours avant que toute la zone ne soit inondée, avec pour résultat un des nombreux chefs d'œuvre de William Friedkin, et clairement "un des films d'horreur les plus perturbants que vous pourrez voir", comme l'avait spécifié une critique américaine de l'époque.

- Arthur Cauras.


ps: lire le Mad Movies 374 contenant bon nombre d'interviews d'artistes et techniciens au sujet du génie de Chicago, notamment le chef décorateur de BUG.