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mardi 3 octobre 2023

BUG (William Friedkin - 2006)



BUG
(William Friedkin - 2006)


On dit souvent qu'un film se bonifie avec l'âge. Le 18e film de William Friedkin a vu sa puissance croître et devenir plus imparable que jamais depuis 2006... En effet, il y est question de paranoïa et de complotisme. Ca, c'est la première lecture. La seconde propose bien évidemment une zone grise, un état de doute constant chez le spectateur comme a toujours aimé le créer Hurricane Billy. Car pour lui, le cinéma est un art, et on fait de l'art en poussant les gens à la réflexion et au débat, en les troublant.

En partant de ce postulat, on peut dire que BUG est l'un de ses films les plus aboutis -- et également l'un de ses plus rudes et sombres.

Le film, issu d'une pièce de théâtre, raconte comment une femme très fragilisée par la disparition de son enfant de 4 ans, va rencontrer un ancien militaire meurtri par la guerre et des expériences scientifiques de l'armée... visant à injecter des insectes sous la peau des soldats.


Bien sûr, les spectateurs qui vont voir BUG sur le postulat de la tagline de l'affiche "par le réalisateur de L'EXORCISTE" en seront pour leurs frais, tout comme à l'époque, ça avait été le cas pour ceux ayant été à la projection de SORCERER, en pensant que le titre allait amener quelque chose de fantastique de l'acabit du chef d'oeuvre de 1973.

Le doute est distillé durant tout le film (à quel point le récit du militaire est vrai?), même si certains indices sont là, comme le papier tue-mouches et les vibrations à l'intérieur de la pièce par rapport à ce que l'on perçoit de l'extérieur (encore faudrait-il prendre en compte le fait que l'extérieur n'est pas une projection mentale). Toujours est-il que le tour de force de BUG est sa propension à nous mettre dans la peau (c'est le cas de le dire) de gens brisés par la vie, complètement élimés et tellement en déperdition qu'ils sont prêts à se raccrocher à n'importe quel signal lumineux, aussi tordu soit-il, pour émerger ne serait-ce qu'un minimum du fond du trou dans lequel ils sont enterrés.

Le couple, la fusion de ces deux êtres, et l'acmé de leur relation est d'une fatalité tant logique que déprimante. C'est le nihilisme propre au cinéma de Friedkin sous sa forme la plus cinglante.


Au cinéma, vous avez la paranoïa façon X-FILES, avec des héros qui cherchent à prouver un grand complot, et le combattent avec force rebondissements et alliés / traîtres / ennemis. Et vous avez celle de Friedkin, où rien n'est épique, tout est une question de mal-être et de tourments infinis. La solitude face aux autres, contre la solitude face à soi-même.

Au passage, le dialogue de la dernière séquence, où "le puzzle se met en place", où l'héroïne épouse les idées et le point de vue du militaire, dans une chute inexorable, est absolument prodigieux, et touche certainement du doigt ce qui peut se passer dans l'esprit de personnes finissant par se perdre dans des idéologies radicales, depuis l'avènement des sociétés modernes et pour longtemps encore, à n'en pas douter.

BUG a été réalisé dans le dur : 20 jours de tournage, un incendie qui ravage le décor et quelques jours avant que toute la zone ne soit inondée, avec pour résultat un des nombreux chefs d'œuvre de William Friedkin, et clairement "un des films d'horreur les plus perturbants que vous pourrez voir", comme l'avait spécifié une critique américaine de l'époque.

- Arthur Cauras.


ps: lire le Mad Movies 374 contenant bon nombre d'interviews d'artistes et techniciens au sujet du génie de Chicago, notamment le chef décorateur de BUG.








samedi 5 novembre 2022

L'EXPOSITION (Le Cabinet des Curiosités - 2022)



L'EXPOSITION
(épisode issu de la série
LE CABINET DES CURIOSTES)

De la série LE CABINET DES CURIOSITES (créée par Guillermo del Toro, 2022), se détache clairement l'épisode de Panos Cosmatos, qu'on connait pour son travail aussi rare que personnel. En effet, il n'y a pas deux BEYOND THE BLACK RAINBOW, ni deux MANDY. La griffe du fils de George Cosmatos est immédiatement indentifiable dès les premières minutes de son EXPOSITION (aka THE VIEWING), une histoire autant planante que dérangeante hantée par Peter Weller et Sofia Boutella.

Cosmatos Jr. ne se soucie jamais de la narration dans ses films, mais chérie particulièrement l'atmosphère, le rythme de la mise en scène, de la scénographie, et transcende ainsi des histoires qui, sur le papier, se résumeraient pourtant à peau de chagrin.

Ici, dans les années 70, 4 personnalités issues du monde de l'art et de la science sont conviées à se droguer chez un magnat richissime, afin d'être "au sommet de leurs capacités" pour découvrir un rocher contenant une entité de l'au-delà.... qui va se manifester après avoir insufflé une bouffée de chichon !
Mais ne vous y trompez pas : L'EXPOSITION ne prête pas du tout à rire.


Panos y fait briller son talent, la musique est hypnotisante et on a à nouveau l'impression d'être hors du temps, comme dans un univers parallèle, alors que les personnages débitent des dialogues philosophiques, avant de se faire péter le crâne façon SCANNERS ou déliter à la UNDER THE SKIN (remember sous la surface!). Le tout baigné dans une lumière enveloppante, tandis que des flairs optiques nous plongent davantage dans un état second.

La forme finale de l'entité que je ne spoilerai pas ici, évoque le travail de Ray Harryhausen (en même temps d'être un clin d'oeil au film de papa LEVIATHAN, déjà avec Peter Weller), d'autant qu'elle apporte une sorte de candeur à ce mélange définitivement singulier, dont les thématiques pourraient être l'addiction, l'humilité à accepter nos failles, le tout sur fond de mythe de Prométhée. Assez fascinant.

Une seule envie en sortant de ce trip, outre de se le refaire dans la foulée : espérer que Panos Cosmatos ne mette pas trop de temps avant de retourner au charbon.

- Arthur Cauras.


TRAILER VO







mercredi 13 juillet 2022

MEN (Alex Garland, 2022)




MEN
(Alex Garland, 2022)


Impossible de s'imaginer, même avec le trailer, combien le nouveau film d'Alex Garland (scénariste de 28 JOURS PLUS TARD, LA PLAGE, SUNSHINE...) va aller loin, très loin, aussi loin qu'aucun film occidental sorti au cinéma ne l'a peut-être jamais été.

Tout comme de ses précédentes oeuvres (EX_MACHINA et ANNIHILATION), il resort de son nouvel effort un savant mélange entre le psychologique et la froideur clinique évoquant l'étude scientifique. Descendant d'un grand scientifique salué par un prix Nobel, et de psychologues, le constat fait sens.


Dans MEN, Garland nous fait suivre la tentative de reconstruction d'une femme qui a vu son mari se suicider après qu'elle lui ait annoncé sa volonté de divorcer. Elle part donc seule au fin fond de la campagne anglaise, dans un bled de 5 pèlerins où elle loge dans une grande demeure.

Alors qu'elle semble reprendre goût à la vie au contact de la nature, des éléments perturbants font leur apparition, dont l'un des moindres n'est pas cet homme nu totalement disgracieux qui se dresse face à elle en pleine forêt, puis la suit pour se coller aux fenêtres de sa maison, avant d'être interpellé par la police. Commence alors une succession de heurts avec le peu de population locale, de sentiment d'incompréhension et d'injustice, tandis que certains événements tendent vers le surréalisme, le grotesque puis le fantastique pur... L'héroïne rêve t'elle tout ça, est-elle à ce point à la dérive mentalement, combien est-ce ancré dans la réalité ? Pourquoi les figures masculines semblent plus ou moins avoir le même faciès ? Est-ce une métaphore de la soumission des femmes à l'homme dans notre société contemporaine ? Ou une métaphore d'une culpabilité beaucoup trop lourde à porter ?

Peut-être un mélange de tout ceci... Il est tout à fait possible et juste que 2 spectateurs y voient 2 interprétations diamétralement opposées.


Paresse ou incompétence d'écriture de la part d'Alex Garland ? Absolument pas, le scénariste / écrivain / réalisateur anglais est au contraire d'une intelligence et d'une précision rares dans son travail d'auteur, et nous enfonce dans une situation dégénérescente s'écroulant sur elle-même à mesure que le temps s'écoule façon cauchemar, se démantelant pour finir dans une apothéose chaotique et organique, recrachant le traumatisme initial... Honnêtement, on a rarement vu un équivalent sur grand écran. Il faut aller lorgner du côté de la petite lucarne des années 90, pour repenser à certaines images de la série TV THE KINGDOM de Lars Von Trier, ou de certains japanimes type Yoshiaki Kawajiri. Le réalisateur, quant à lui, avoue une référence : celle du japanime L'ATTAQUE DES TITANS, pour l'attitude, la posture et la façon dérangeantes de se mouvoir de certains personnages.

Garland parvient à nous mettre dans la peau de quelqu'un au bout du rouleau (quelqu'en soit la raison), qui n'en peut plus, mais qui est forcé d'encaisser continuellement des charges de plus en plus intenables.
En l'état, on sort de la salle complètement chamboulé. On tente de reconstituer ce qu'on vient de voir, la complexité de l'ensemble et les multiples possibilités d'interprétations, donc, et ça appelle à quelque chose qui n'existe quasiment plus depuis bien longtemps : le débat à la sortie de la salle. Ce n'est pas le moindre des tours de force de Garland, à une époque où les sentiers battus sont le chemin des films de cinéma, où les producteurs ne veulent pas prendre de risques... c'est assez incroyable et porteur d'espoir de voir un coup d'éclat tel que MEN en 2022.


Alex Garland, c'est véritablement un sans-faute. En plus d'être un storyteller de haut niveau, il a des thématiques récurrentes qui lui forgent une véritable filmographie homogène depuis ses débuts, entre la figure de la femme forte, l'attirance par la pulsion de mort, la toxicité des rapports humains, une mélancolie certaine, et ce fameux mélange psychologie / science dure qui façonne chacun de ses scénarios et films.

Il fait partie des rares réalisateurs actuels dont tout nouvel effort est à ne surtout pas rater.


- Arthur Cauras.




lundi 1 novembre 2021

HALLOWEEN : films pour flipper !


HALLOWEEN :
films pour flipper !


Halloween est une fête donnant l'occasion de se faire peur devant son écran, en découvrant, redécouvrant ou faisant découvrir des films fantastiques et/ou d'horreur.
 🎃🎃🎃
Voici donc une petite liste de films d'horreur qui m'ont le plus marqué de ma petite vie de cinéphile... Si vous ne savez pas quoi regarder ce soir, et si vous voulez être dans le mal, voici de quoi ne pas faire le malin devant son écran... A regarder en VOST, et sans votre pote Jean-Jérôme qui boit du jus de fruits en parlant fort à côté de vous : 




- L'EXORCISTE 
(William Friedkin, 1973) 
Avec son style documentaire, le maître Friedkin place le spectateur au coeur d'un véritable cauchemar pour un parent : celui d'assister impuissant à la dégénérescence de son enfant, souillé et maltraité par un esprit pervers échappé du fin fond de recherches archéologiques en Irak. La-dite séquence de fouilles, qui est la première du film (à préférer infiniment au remontage des années 2000), donne le la et met directement mal à l'aise son audience avec ce sentiment fort "d'inquiétante étrangeté".


- LES DENTS DE LA MER 
(Steven Spielberg, 1975)
"Forcément" serait-on tenté de dire, mais comment ne pas citer l'un des premiers coups d'éclat de Spielberg dans une liste de films les plus flippant du cinéma ? Le thème principal de Williams, les plans suggestifs, l'attaque au petit matin du début, la scène nocturne faisant attendre, attendre que quelque chose n'arrive, le discours dans la cale du bateau, le combat final... le film est une perfection qui met encore parfaitement la pression de nos jours.


- LE LOCATAIRE
(Roman Polanski, 1976) 
En France et avec très peu de moyens, Polanski parvient à instaurer un climat très malaisant au sein d'un immeuble parisien. Progressivement et avec quelques détails pouvant prêter à sourire de prime abord (le héros se rend compte que les autres locataires restent des heures face à un mur, par une fenêtre), le film instaure progressivement la peur, et nous range, désarmé, du côté du héros désemparé.


- L'INVASION DES PROFANATEURS
(Philip Kaufman, 1978) + BODY SNATCHERS (Abel Ferrara, 1993)
Paranoïa ultime. Ici, des spores tombées de l'espace font pousser d'étranges fleurs dans les villes. Les gens vont dormir, mais ne se réveillent pas. Enfin pas tout à fait : dupliqués dans des cosses durant leur sommeil, ils sont une version aseptisée d'eux-mêmes, sans âme, sans émotion. Ces nouvelles coquilles se lancent alors calmement dans leur nouvelle mission : faire dormir de force les gens refusant de le faire, marchant avec leur clone en file indienne dans les rues, et poussant un hurlement glaçant lorsqu'il repère un futur candidat à désincarner. Le film de Kaufman se passe en ville, celui de Ferrara dans une base militaire; les deux sont brillants et doivent forcément beaucoup à la première mouture de Don Siegel dont la fin reste dans toutes les mémoires.


- ALIEN
(Ridley Scott, 1979)
La terreur spatiale absolue, la créature étant une source d'angoisse autant que toute l'incroyable atmosphère mystique autour de la découverte d'autres formes de vie et d'intelligence dans l'espace. Avec ce film, Ridley Scott montre déjà l'étendue de son talent (c'est son 2ème...) et lancera sans le savoir une des plus colossale et passionnante saga de Science-Fiction, qui permettra de faire émerger ou de confirmer le talent de certains des plus cinéastes de genre que sont David Fincher et James Cameron.


- SHINING
(Stanley Kubrick, 1980) 
Certainement l'un des films ultimes sur la folie, la démence, la paranoïa, et l'un des plus fins sur la déliquescence d'un individu en situation d'échec depuis toujours, finissant par rejeter sa colère sur ceux qui comptent pourtant le plus pour lui. Kubrick (au grand dam des amoureux du roman original de Stephen King), joue la carte de l'équilibriste entre fantastique pur et terreur psychologique. On peut donc autant imaginer que tout se passe dans la tête de Jack Torrance, comme penser que c'est l'endroit qui est hanté et déteint lentement et négativement sur lui... Quoiqu'il en soit, le résultat est le même : il est effrayant comme il perd inexorablement tout lien avec la raison.


- THE THING
(John Carpenter, 1982) 
Paranoïa ultime, la suite. Un extra-terrestre impossible à définir, prenant la forme de ce qu'il touche, l'imitant à la perfection, dupliquant ses victimes, les transformant sans ménagement, diffusant une paranoïa absolue au coeur de ce groupe de chercheurs américains coincés dans leur base en Antarctique. Le plus perturbant est qu'on voit le monstre... mais qu'on ne comprend pas vraiment ce qu'on voit, ce qui met continuellement sous tension. La scène du test sanguin, celle de la réanimation ou encore le passage du chenil ne sont que quelques éléments d'un cocktail brutalisant sans ménagement le spectateur du début à la fin... une fin nihiliste, après laquelle on se peut se demander si l'un des protagonistes est bien humain, et si oui lequel. 
Un indice : buée. Un autre indice : bouteille de whisky.


- LES GRIFFES DE LA NUIT
(Wes Craven, 1984) 
Impossible de ne pas dormir... c'est sur ce postulat aussi simple qu'ingénieux hérité des fameux BODY SNATCHERS, que Craven créé Freddy Kruegger, esprit maléfique tuant ses victimes dans leurs cauchemars. Le film recèle de scènes faisant encore autorité de nos jours, comme celle du bain, de la chaufferie ou bien entendu, ce final durant lequel Craven donne une petite chance à son héroïne face au boogeyman en lui permettant de poser pièges et chausses-trapes dans sa demeure, idée récurrente dans sa filmographie !


- ANGEL HEART 
(Alan Parker, 1987) 
Un film autant dramatique que terrifiant, le plan déroulant tout du long du générique de fin finissant d'enfoncer le clou. Un Mickey Rourke incroyable et au sommet de ses capacités en détective miteux, tentant de surnager dans l'atmosphère oppressante et... chaude comme l'enfer de la Nouvelle Orléans, courant après les témoins d'une affaire de disparition qui lui échappe totalement. Parker montre là-encore son immense talent, lui qui a été l'un des rares réalisateurs de pub / clips a avoir opéré avec brio une transition vers le cinéma.


- PRINCE DES TENEBRES
(John Carpenter, 1987) 
Religion, science et physique quantique; Carpenter mélange brillamment les thèmes en y plaquant l'idée que ce qu'on connait de la religion est liée au concept des univers parallèles. L'avènement du Malin est imminente et un groupe de scientifiques enfermé dans une église d'un autre âge essaye de comprendre comment le contrer, tandis que la nature se modifie, que les insectes et les clochards (!) sont déboussolés.


- CANDYMAN
(Bernard Rose, 1992)
Un film n'ayant pas d'équivalent dans sa mixture entre drame, romance et horreur pure. Les personnages principaux sont magnifiques, la mythologie urbaine fonctionne à plein régime et les entrées en scène du Candyman sont terrifiantes.


- THE RING 
(Hideo Nakata, 1998) 
L'un des films les plus importants de la J-Horror, ces films d'horreur japonais liés aux mythes et légendes du pays. Ici, le fait de tomber sur le visionnage étrange présent sur une VHS promet la mort au spectateur, prévue 1 semaine après. C'est la fuite en avant pour les héros, et l'occasion rare d'assister à des "morts de peur" au cinéma.


- THE REEF + BLACKWATER 
(Andrew Traucki, 2010, 2007)
En deux films, l'australien Traucki a rebattu les cartes du film de créature marine, tout simplement en revenant à la source spielbergienne : montrer peu pour terroriser davantage lors de l'arrivée brutale du requin ou du crocodile, sans oublier de créer de vrais liens entre les personnages pour qu'on s'y attache. Une sensation de temps réel (les héros restent quasiment au même endroit tout le long de chacun des films) qui oppresse véritablement, pour amener à des conclusions certes convenues dans le registres, mais fortement dramatiques. 


- THE STRANGERS
(Na Hong-jin, 2016)
Une petite bourgade tranquille, un policier un peu péquenaud (on est en Corée du Sud) et goguenard, et des meurtres qui commencent à s'accumuler... Un rapport avec ce vieil ermite japonais fraîchement débarqué dans les environs ? Rien n'est moins sûr... ou rien de plus sûr... on navigue à vue aux côtés de notre héros affolé et dépassé par la violence de ce qui se passe, nous emmenant progressivement et inextricablement vers un final tout simplement cauchemardesque, dont certains plans en clair-obscur marquent l'esprit au fer rouge. C'est le troisième métrage de Na Hong-jin, jeune cinéaste à la filmographie parfaite.


HALLOWEEN : 10 FILMS POUR FLIPPER 🎃
Je parle de certains de ces films dans cette vidéo, avec extraits à l'appui :
https://www.youtube.com/watch?v=vW3_2XGVqKU


Cette liste est fatalement non-exhaustive, car il est très difficile de tout mentionner sans tomber dans la citation du registre complet du film d'épouvante. Cette liste est aussi forcément subjective: ce qui fait peur à l'un ne fera pas forcément peur à l'autre.
Il reste bien entendu nombre d'oeuvres à découvrir pour se faire peur : je citerai les séries X-FILES, qui recèle d'épisodes remarquables comme QUAND VIENT LA NUIT et LES CONTES DE LA CRYPTE et ses morales vrillées, et pour rester dans les formats courts, le mémorable sketch de "La goutte d'eau" des TROIS VISAGES DE LA PEUR de Mario Bava...
Mais aussi, dans un autre registre, l'animé PERFECT BLUE de Satoshi Kon et sa star harcelée, ou encore l'excellente adaptation du jeu vidéo SILENT HILL par Christophe Gans, avec ses monstres damnés issus d'une psyché malade, souffrant autant le martyr que désireux de tuer.
L'horreur et la terreur peuvent prendre différentes formes et ne frapper parfois qu'une fois ou deux lors d'un film.
L'excellent VORACE (encore un film melting-pot) avec l'histoire de ce brave Colquhoun au coin du feu en atteste. L'EXORCISTE a accouché d'un 3ème opus à voir, habité de plusieurs idées et passages secouant (ah, mamie-mouche) repris depuis dans des films à succès comme HEREDITE. CHROMOSOME 3 diffuse quant à lui un fort malaise sous la caméra clinique du maître Cronenberg, tandis que [REC] est un réjouissant rollercoaster de tous les instants.
Les cartons mondiaux plus récents de CA oue encore d'INSIDIOUS démontrent, si besoin été, que le cinéma d'horreur a encore de beaux jours devant lui.

- Arthur Cauras.

vendredi 22 octobre 2021

QUE LA CHASSE COMMENCE ! (Ernest R. Dickerson, 1994)



QUE LA CHASSE COMMENCE !
(Ernest R. Dickerson, 1994)


Mason (Ice-T), un SDF au bout du rouleau ayant perdu femme et enfant, est sur le point de se suicider. Il est sauvé par un homme lui proposant une belle somme d’argent pour servir de guide en pleine nature à son groupe de chasseurs et lui. Une fois sur place, bien entendu, il va découvrir qu’il fera plutôt office de gibier ! 
Sorti un an après le CHASSE A L'HOMME de John Woo, l'injustement méconnu SURVIVING THE GAME (titre original) pouvait laisser pressentir un simple copié-collé. Il n’en est rien, même si certains éléments se retrouvent dans les deux films. 

Les chasseurs (presque) au complet, broliqués
jusqu'aux dents.

Les personnages des traqueurs et leur déviance sont plus travaillés qu’à l’accoutumée dans le sous-genre auquel il appartient, à savoir le film de chasse à l'homme. A la tête de leur bande, un riche homme d’affaires (Rutger Hauer) qui se dévoile au héros avant de l’embaucher : « J’ai passé beaucoup de temps dans les pays du Tiers-monde vous savez, ça a changé ma vision de la réalité, la vie ne vaut pas cher. » Sauf que ce constat ne l’a pas rendu altruiste, bien au contraire ! Tout est également question de double-sens lors du dîner précédent la partie de chasse, durant lequel Mason ignore tout de ce qui l’attend. Il écoute chacun des chasseurs s’exprimer, le plus gratiné étant celui incarné par Gary Busey, psychiatre à la CIA, qui après un long monologue révélant un moment… assez spécial de son enfance, conclut en disant que la chasse est une thérapie. 
C’est en effet le cas pour l’un d’eux ayant perdu sa fille, projetant sur Mason tout ce ressentiment qui le ronge. Pour d’autres, notamment le jeune fils candide d’un habitué, c’est l’occasion de développer un instinct combattif qu’il n’a pas. Le père le rassure en lui expliquant que leur proie n’est pas vraiment un être humain mais un sans-abri, une ordure, un moins que rien... 

Refrain connu; la proie se révèle aussi dangereuse
que ses traqueurs.

Une fois les présentations faites, Dickerson lâche les chevaux et ne déçoit pas : poursuites en quad, fusillades, combats à mains nues, explosions en tout genre et corps soufflé par la déflagration d’un véhicule piégé, rien ne manque à cet actionner typique des années 90 ! Le réalisateur n’oublie pas de faire évoluer ses personnages quand, du chasseur et de la proie, il ne reste face à face que deux pères de famille éplorés, le premier ayant sombré dans la haine de soi tandis que le deuxième, dans la haine de l’autre.

QUE LA CHASSE COMMENCE ! est l’un des meilleurs représentants des films de traques, bien écrit, bien mis en scène et porté par un casting jubilatoire, qui mériterait une sortie blu-ray à sa mesure. Cerise sur le gâteau : la salle des trophées de la fine équipe, un gros clin d’oeil très appréciable aux CHASSES DU COMTE ZAROFF !

- Arthur Cauras.


Gary Busey dans un rôle calme et mesuré comme il les aime.

nb : ce sujet est issu de mon article "Proies et chasseurs : les films de chasse à l'homme", présent dans le livret collector de l'édition limitée de la VHS box CHASSE A L'HOMME éditée chez ESC éditions à 1000 exemplaires, aujourd'hui épuisée.


Trailer VF :


https://www.youtube.com/watch?v=Ez02UoG5Kz8

lundi 19 avril 2021

JACKIE CHAN & ALAA SAFI : anecdotes



JACKIE CHAN
& ALAA SAFI :
anecdotes


Jackie Chan est une légende du cinéma d'action et d'arts martiaux.
La saga POLICE STORY, CRIME STORY, les DRUNKEN MASTER, TWIN DRAGONS, les MARIN DES MERS DE CHINE... On ne compte plus les films cultes de "JC", dont la cote de popularité n'a jamais cessé de s'accroître. Sa bonne humeur, ses idées géniales de mise en scène et ses cascades proprement hallucinantes, réalisées par lui-même pour le meilleur et pour le pire (sa santé physique!) ont marqué à jamais le cinéma.

En 2012, il décide de faire une suite à OPERATION CONDOR, l'un de ses titres les plus fameux.  Ce film fait partie de la saga ARMOUR OF GOD, initiée par MISTER DYNAMITE et OPERATION CONDOR, donc.


Alaa Safi est un comédien français né en 1984. 
Les arts martiaux le passionnent très tôt, notamment le Taekwondo dans lequel il excellera en devenant champion du monde de la branche Taekwon Mudo à l'âge de 18 ans. Les coups de pieds spectaculaires de l'art martial coréen l'amènent dans une autre discipline, celle des Tricks, soit des Arts martiaux acrobatiques.
Il fait ses premiers pas au cinéma dans le court-métrage JOUR APRES JOUR (2004) : c'est à cette période que je l'ai donc rencontré, puisqu'il s'agissait également de mon premier film en tant que réalisateur, dont le rôle principal était tenu par Jo Prestia... également ancien champion de sports de combat (en l'occurence le Muay Thai), lui aussi reconverti avec brio dans le 7ème art ! Alaa sera le personnage principal de mon deuxième court-métrage, POINT ZERO (2014).

Une forte amitié nous lie, et nous échangeons forcément sur nos expériences respectives... J'étais forcément très content pour lui quand il m'a appris qu'il était pris pour le jouer le bad guy du prochain film de Jackie Chan, en 2012 !

La scène dite "du canapé" de CHINESE ZODIAC fait le tour du monde. C'est devenu l'une des plus célèbres de la filmographie de Jackie Chan de ces dernières années.


Avant, pendant et après le tournage de CHINESE ZODIAC, il y eut énormément d'anecdotes, certaines devant rester dans la confidence, d'autres pas...

- A la base, l'agent français d'Alaa l'avait envoyé au casting pour un "petit rôle de serveur dans le nouveau Jackie Chan", pour une journée de tournage à Paris. Il était déjà content; Alaa est fan de JC depuis toujours, ayant grandit avec DRUNKEN MASTER 2 et WHEELS ON MEALS (SOIF DE JUSTICE).

- Le casting avait lieu dans le 13e arrondissement de Paris. 
Une fois l'audition passée, le directeur de casting lui dit que c'est bien, et lui demande s'il connait les arts martiaux. Alaa a donc été champion du monde de Taekwon Mudo à 19 ans et est un As des Tricks ! Alors il envoie quelques coups qui impressionnent et le jour d'après, il demande à son agent d'envoyer sa démo de combat. Le lendemain, on lui fait savoir que Jackie Chan est sur place, et aimerait bien le rencontrer.

- Une fois au RDV, les assistants de JC s'affairent autour d'Alaa, comparent les mensurations, la taille, etc. Stanley Tong (qui devait réaliser CHINESE ZODIAC à la base) lui demande s'il a le vertige, s'il connait le rythme de tournage des films asiatiques... pour info, Alaa est parti vivre en Thaïlande pendant 2 ans en 2005, il faisait partie de l'équipe de Tony Jaa, l'entraînait, etc. 
Tous ces questionnements ont lieu devant Jackie qui finit par lui dire "See you soon !"
Mais pendant 1 an, Alaa n'aura pas de nouvelles.

- Alaa s'était résigné au fait que finalement il n'avait pas été choisi, surtout quand il a vu des annonces de casting figuration pour "le nouveau Jackie Chan qui se filmera en France". Il a alors envoyé un mail pour souhaiter bon tournage à la prod Barbie Tong, lui disant que ça avait été un honneur de rencontrer JC et qu'il ne désespérait pas de tourner un jour avec lui ! Barbie lui répond quasi dans la foulée : "On est là et justement on aimerait te voir". Alaa se présente, et JC est présent, lui annonçant : "Tu joues le rôle principal du méchant !"

Alaa Safi sur le tournage de CHINESE ZODIAC

- 2 mois plus tard, il est en Chine...

- Pendant pas mal de temps, Alaa n'a pas de scénario
On lui envoie un portrait de son personnage, "Vulture", sur plusieurs pages. Je me souviens qu'on lisait ce doc tous les deux en se disant que c'était vraiment un personnage sombre voire sinistre, avec un lourd passé à la manière de ces méchants rongés de l'intérieur... Alaa, pendant plusieurs semaines, fait des recherches sur les plus grands et dangereux braqueurs. Il veut construire sa prestation autour d'un personnage compétitif et obsessionnel.

- Mais quand il se rend sur le tournage, il se rend compte que Jackie le redirige toujours pour aller vers quelque chose de plus léger. Au final, son personnage aura totalement évolué, sera plus lumineux car dans ce film, il n'est au final pas question de vrais méchants ultra-violents ou obscurs. Jackie côtoie Alaa pas mal de temps pour apprendre à le connaître et tirer des éléments de sa personnalité pour rebâtir ce "Vulture", notamment son humour ! C'est apparemment un procédé qu'il utilise souvent.

- La production a essayé pas mal de costumes sur Alaa : c'est parti de grosses chaînes en or, de gros bijoux ostentatoires, chapeau haut-de-forme... Alaa était un peu circonspect, avant qu'ils ne s'arrêtent sur quelque chose de plus sobre et classe, qui se rapprochait dans son esprit du style de Jamiroquai. Ce qui lui a permis d'avoir une accroche, une référence supplémentaire pour camper son personnage de méchant excentrique.

Le combat sur le canapé :
une scène aussi drôle qu'inventive.

- Pour filmer la fameuse séquence de combat sur le canapé entre Jackie Chan et Alaa Safi, il faudra 5 jours. Il n'y a pas de chorégraphie pré-établie, pas de découpage sous forme de storyboard, c'est une avancée pas à pas, jour après jour, plan après plan, et sans répétitions globales.
Il était convenu qu'Alaa soit doublé par un cascadeur rodé aux tournages de JC, pas par manque de considérations envers Alaa, mais parce que c'est la méthode qui fonctionne et permet d'aller plus vite. Mais au final, Alaa demandait à chaque fois à Jackie de pouvoir faire les mouvements : Jackie lui demandait de lui montrer ce que ça rendait, il validait, et Alaa tournait. Bilan : il n'aura été doublé que pour 2 plans dans tout le film.

- Pour la scène de la chute libre, Alaa et JC ont passé une semaine à s'entraîner à "voler" dans le plus grand simulateur de vol en Lituanie. Avant de repartir pour un tournage de 2 semaines durant lesquelles tout le monde s'est bien marré.

- Alaa a joué dans DOCTOR STRANGE, il est resté plusieurs mois en Angleterre. Pendant ce temps, Jackie tournait THE FOREIGNER également là-bas, et il l'a invité à dîner deux fois. A chaque fois une belle et grand tablée où Alaa était assis juste à côté de lui, et où il lui a signifié combien il tenait à ce qu'ils fassent ensemble une suite avec CHINESE ZODIAC !


Plus tard il a été question qu'Alaa joue à nouveau face à Jackie dans un projet, mais il a été contraint de refuser car le tournage tombait pile dans la période où son épouse allait accoucher.
Ce projet, réalisé par Stanley Tong, est devenu VANGUARD (2020).


- Arthur Cauras.



La scène de combat du canapé :

Le bêtisier :

Le court-métrage POINT ZERO :

vendredi 26 juin 2020

LE SANG DU CHÂTIMENT (William Friedkin, 1987)

LE SANG DU CHÂTIMENT
William Friedkin - 1987 / 1992



RAMPAGE, de son titre original, n'est pas le film le plus connu du réalisateur de FRENCH CONNECTION. Il est pourtant, à l'instar de tout ce qu'a toujours entrepris William Friedkin, très intéressant sur bien des points, et porte à réfléchir.

Après un nouveau four, celui du pourtant magnifique et crépusculaire POLICE FEDERALE LOS ANGELES, Friedkin embraye difficilement avec un téléfilm sympa (LES HOMMES DU C.A.T) et le petit budget de RAMPAGE

Comme à l'accoutumée, il s'intéresse à un projet fort, qui fait écho au documentaire l'ayant lancé sur les rails de la réalisation, THE PEOPLE VS. PAUL CRUMP (1962), documentaire ayant servi à sauver la vie d'un condamné à mort. Friedkin écrit le scénario de ce film partant d'une histoire vraie : celle d'un tueur en série illuminé, Charles Reece, se sentant forcé de tuer des âmes pures pour renouveler son coeur et son sang. Il est appréhendé par la police, et jugé pour définir à quel point il est responsable, s'il sait vraiment distinguer le bien du mal. Un avocat (Michael Biehn) ayant perdu sa fillette auparavant (il a autorisé son euthanasie), se trouve tellement choqué par les crimes de Reece que pour la première fois de sa carrière, il va plaider la peine de mort.



Au-delà du documentaire THE PEOPLE VS. PAUL CRUMP, on pense surtout à l'un des maîtres à penser de Friedkin ; Fritz Lang, et notamment à son chef d'oeuvre M. LE MAUDIT
Ce dernier malmène toujours autant de nos jours (réalisé en 1931, on le rappelle), particulièrement la séquence extrêmement forte où le pédophile, acculé face à un tribunal populaire entièrement constitué de criminels et de voyous, fait éclater sa détresse, nous mettant en tant que spectateur dans une position bien inconfortable.

Comme dans M. LE MAUDIT, RAMPAGE travaille sur la thématique de la démence opposée à la préméditation, sur le plaidoyer de la folie, et sur le fait de laisser un individu hautement néfaste en vie qui, après l'asile / HP, pourra éventuellement remettre la main à la pâte... Ce sont deux films miroirs, qui se répondent sur ces points.
Sauf que chez Friedkin, on voit Reece à l'oeuvre, même si les meurtres sont hors-champ. Et sauf que Reece est clairement montré à plusieurs reprises comme manipulant ses interlocuteurs, jouant la comédie... Mais également capable d'être sincèrement coopératif.
Du coup, lors du monologue final de Reece durant lequel il demande la clémence pour se faire soigner et avoir le temps de se racheter (clairement un hommage à celui du Hans Beckert de Fritz Lang), on est perturbé autant par l'apparente sincérité de ce tueur en série qui semble vouloir faire sa rédemption, que par le fait qu'il puisse jouer avec les émotions des jurés.
Du pur Friedkin.



Friedkin, qui officiera 3 fois dans le registre des "films de prétoire" (RAMPAGE, RULES OF ENGAGEMENT et son excellent remake TV de 12 HOMMES EN COLERE), accable les psychiatres qui sont plus intéressés à sauver leurs culs au sujet de mauvais diagnostiques passés, que de "sauver une vie" comme ils le clament.
Lors de ses recherches, Friedkin s'était rendu à un hôpital où un programme-pilote avait été mis en place, permettant de modifier les pulsions meurtrières de tueurs en série par l'administration de Lybrium, qui les transformait en "oranges mécaniques"... et prouvait selon lui que la psychiatrie n'avait aucune valeur.

Friedkin discute de la valeur de la vie ("Pourquoi est-elle née pour mourir comme ça?" dit une mère à propos de sa fillette décédée à l'hôpital), et appuie sur l'horreur d'un meurtre, simplement via l'idée de faire s'écouler le temps de l'un d'eux lors d'une audience. 
Bien sûr, il utilise des "images parasites"-- comme souvent dans son oeuvre, venant perturber la séquence à laquelle on assiste, représentant la déviance de Reece ou les tourments de l'avocat.
RAMPAGE, selon les propres aveux de Friedkin, peut paraître froid, distant, mais tient ses qualités dans sa recherche du réalisme (une constante de son travail), via sa photo, ses caméras épaule lors de perquisitions et la poursuite entre le tueur et la police, ou encore via l'utilisation des fameux scanners P.E.T montrant que la chimie du cerveau du tueur en série est différente d'une personne lambda.
Baignant dans l'atmosphère dépressive et tragique du score d'Ennio Morricone, le film semble marqué du sceau de la destinée et du fatalisme, particulièrement vis-à-vis de ce qui arrive finalement au personnage de Reece après le verdict du jury, ainsi que pour le ton de la dernière séquence qui nous est montré.



Friedkin avait fait produire ce film par Dino de Laurentis dont les fonds étaient, selon lui, "assez douteux"; après une sortie (en partie) européenne, le producteur fit faillite et RAMPAGE fut bloqué, ne connaissant pas de sortie U.S... Catastrophe. 
Après avoir bataillé comme il sait le faire, Friedkin se rend à l'évidence, la "malédiction de l'Exorciste" comme certains appelle sa lente chute après ce succès faramineux de 1973, continue encore à le frapper.
Il faudra qu'il attende 1992 et la rencontre avec un certain Harvey Weinstein pour que RAMPAGE ait à nouveau une vie. En revoyant son film 5 ans après l'avoir fini, Friedkin enlève certaines scènes (dont le fameux monologue de Reece !), en ajoute d'autres (Reece achète facilement une arme en début de film) ainsi qu'une voix off et une nouvelle fin, changeant la destinée du tueur en série. Il y a donc 2 versions du film : la version de 1987 et celle remaniée de 1992, appelée à défaut "Director's cut", puisque le premier montage était également validé par Friedkin... Un Friedkin contre (ou plutôt moins pour) la peine de mort.

Surtout en Europe, ce nouveau montage fait polémique, car il est annoncé comme étant pro-peine de mort. Toutefois, en regardant l'un après l'autre les deux montages, difficile de ressentir véritablement une volonté forte de prôner la peine de mort -- volonté pourtant clairement assumée par Friedkin. 
Les deux montages dépeignent surtout le côté branlant des administrations (même les policiers escortant Reece sont des tartuffes), particulièrement du milieu des experts en psychiatrie. Mais aussi du fait de parler calmement en costume dans une grande salle d'actes malsains, de massacres ayant eu lieu plusieurs semaines/mois auparavant... Quelque chose semblera toujours un peu clocher.
Dans les deux montages, le cas de Reece est clairement présenté comme relevant de la psychiatrie, même si celui de 1992 le présente comme étant plus conscient de ses actes. 

Le montage initial est déjà plus pro-peine de mort qu’autre chose. Ce n'est parce que dans la nouvelle version, on voit Reece acheter son arme que le meurtre qui suit est plus prémédité que dans la version de 1987 : on débarque rarement chez un inconnu avec une arme pour le tuer, sans que ça n'ait de toute manière été prémédité...

LE SANG DU CHÂTIMENT étant tiré d’une histoire vraie, on peut difficilement critiquer ce qui y arrive à Reece -- qui, au sein d'une fiction pure, serait taxé de « Deus ex machina* ».
[ SPOILERS ] On le sait, dans le cinéma (surtout occidental), un méchant ne peut être impuni ou rester en vie... Il doit payer pour ce qu'il a fait, "question de morale". Alors finalement, dès le montage original, le spectateur avait déjà la satisfaction de savoir que Reece ne pourrait jamais plus perpétrer de meurtres. [ SPOILERS ] 



Le montage original reste plus fort ; son plan d'ouverture vu d'avion (la fameuse "vue de Dieu"), l'arc narratif de Charles Reece, et son puissant monologue.
Reece y a vraiment quelque chose de tragique, et Friedkin arrive à faire croire à sa « déviance subie »; il dégoûte autant qu’il fait pitié. Son acte final en dit encore davantage sur le bordel dans son cerveau.


[ SPOILERS ] 
Voici les différences relevées entre les 2 montages :
- Des indications de temps, de date et une mention "inspiré de faits réels" ont été ajouté.
- Le film ne s'ouvre plus sur un plan aérien, mais directement sur Reece marchant dans la rue.
- Nouvelle scène montrant Reece acheter un pistolet et répondre par la négative à l'armurier quand celui-ci lui demande : "Avez-vous déjà été interné pour des problèmes d'ordre psychiatrique ?"
- 2 scènes montrant l'obsession de Fraser (Michael Biehn) à tuer Reece sont ajoutées dans le nouveau montage. Une où Fraser parle avec un père de famille dont les proches ont été assassinés par Reece, il dit : "Certaines fois, une vie doit être supprimée. Je l'ai fait avec ma fille. Il faut que nous fassions la même chose avec Reece." Et l'autre où Fraser rêve que Reece s'en prend à sa défunte fillette.
- Le juge McKinsey convie Fraser - avocat de la partie civile, et Morse - avocat de la défense, à une réunion de travail avant-procès.
- Une phrase de Fraser est retirée du nouveau montage lors de sa plaidoirie finale : "Je ne veux pas tuer cet homme".
- Fraser, dans la version de 1987, confesse avoir plaidé la peine capitale en partie pour des raisons liées au passé, quand il avait autorisé l'euthanasie de sa fillette cérébralement morte. Ce passage est retiré du nouveau montage.
- Suppression du monologue final de Reece, durant lequel il se confesse.
- Ajout d'une scène où il éclate de rire après avoir téléphoné à Fraser chez lui.
- La fin est totalement revue : Reece ne se suicide plus dans sa cellule après avoir ingéré les médicaments apportés par sa propre mère. A la place, il écrit à l'homme auquel il a tué le fils et la femme, justifiant ses actes par la maladie.
- Nouveau plan où Reece enserre ses barreaux de prison et regarde le spectateur, suivi d'un carton indiquant une possible remise en liberté dans 5 ans.
[ SPOILERS ] 

RAMPAGE reste quoiqu'il arrive déroutant. C'est en cela qu'on peut dire que Friedkin a réussi son entreprise.

Toujours est-il qu'après ce film -- un nouvel échec au box office, William Friedkin sera au fond du trou. Une période très difficile pour lui, durant laquelle il ne se reconnait plus aucun talent, en plus de lutter pour obtenir la garde de son fils. Plus personne de la profession ne l'appelle, son agent lui-même dit qu'il ne retravaillera jamais, et il songe donc à faire autre chose de sa vie.
Heureusement pour lui (et pour nous), il a persévéré : allaient venir plus tard les KILLER JOE, THE HUNTED et autres BUG !

A noter qu'à cause de tous les problèmes de droits, il est de nos jours très difficile de voir LE SANG DU CHÂTIMENT -- il est seulement dispo en VO en DVD en Pologne (montage revu de 1992). Il est visible en 2 parties d'une qualité atroce, en VF, sur Dailymotion (montage original). 
Une édition regroupant les 2 montages serait vraiment la bienvenue, surtout si bardée de suppléments passionnants et sans langue de bois comme Friedkin sait offrir.


- Arthur Cauras.



* Deus Ex Machina : une expression péjorative pour désigner une action, un événement invraisemblable et/ou mal intégré au récit, utilisé par paresse scénaristique ou destiné à provoquer opportunément une fin heureuse sans aucune cohérence avec le récit.