mercredi 22 novembre 2023

L'EXORCISTE SELON WILLIAM FRIEDKIN (Alexandre O. Philippe - 2019)



L'EXORCISTE SELON WILLIAM FRIEDKIN
(Alexandre O. Philippe - 2019)

A la base, le réalisateur suisse de documentaires Alexandre O. Phillipe veut que Friedkin fasse partie des intervenants de son 78/52 qui parle de PSYCHOSE. Mais le mail envoyé déplait à Friedkin qui se braque. Les 2 hommes se croisent ensuite à plusieurs reprises, le courant semble à nouveau pouvoir passer, et alors que Philippe veut proposer à Billy de faire partie du docu MEMORY sur ALIEN, ce dernier l’oriente sur L’EXORCISTE. Friedkin explique à Philippe qu’il a en effet des archives et des anecdotes jamais montrées ni racontées au grand public…
Tout ce travail, et toute cette entente en symbiose donneront donc ce très intéressant LEAP OF FAITH. Pour qui n’aura pas lu les mémoires THE FRIEDKIN CONNECTION, on peut même dire « captivant », car Billy y cite forcément certains éléments bien connus en rapport à la fabrication de ce chef d’oeuvre intemporel : le casting de Mercedes McCambridge pour la voix de Reagan possédée (performance pour laquelle elle devra replonger dans l’alcool et la cigarette sous la vigilance de 2 prêtres, en plus de manger des oeufs crus !), l’éviction d’un Stacy Keach déjà signé au profit d’un Jason Miller inconnu au cinéma; ou encore la nécessité de la scène d’ouverture en Irak que personne ne comprenait.


Le documentaire se regarde d’une traite, pourtant il n’y a d’autres intervenants que William Friedkin lui-même (Philippe dira avoir résisté à la tentation d’aller interviewer Linda Blair et Max von Sidow comme lui proposait Friedkin), mais le rythme, le montage et les très généreuses illustrations rendent le tout extrêmement fluide. On y voit de nombreuses photos et axes inédits, et tous les films cités par Friedkin sont présents, de CITIZEN KANE au TRESOR DE LA SIERRA MADRE en passant par les films avec la-dite Mercedes McCambridge ou 2001, L’ODYSSEE DE L’ESPACE. Sans compter les siens !
Au niveau musical, Friedkin raconte comment il a rembarré l’éminent Bernard Herrmann (qui lui avait dit de dégager la scène d’ouverture), puis a brisé son amitié avec Lalo Schifrin qui étouffait cette même scène en Irak d’une musique trop envahissante, avant de tomber, après avoir écouté une centaine de musique, sur les fameuses Tubular bells de Mike Oldfield.
Friedkin raconte aussi les débats et situations parfois tendues avec l’écrivain Peter Blatty, qui avait proposé de lui donner toutes ses parts s’il obtenait le rôle de Karras ! Toutefois, c’est leur inextricable rapport vis-à-vis de leurs mères respectives qui les a soudé autour du projet.


Friedkin nous fait l’aveux que L’EXORCISTE contient l’unique scène de sa filmographie qu’il ait réalisé sans la comprendre tout à fait: il s’agit de la fin, lorsque Karras est investi de l’esprit maléfique et se jette par la fenêtre. A l’époque, il voulait qu’il se défenestre en gardant les traits possédés par Pazuzu, Blatty le convaincra que le prêtre le fasse après avoir repris ses esprits, en pleine conscience. Même ainsi, Friedkin dit ne pas encore comprendre ce qu’on doit tirer de cette séquence. Ca va d’ailleurs dans son sens, lui qui aime créer des situations et des films portant le spectateur à s’interroger, à la controverse.
Par rapport à ce que je dis souvent, à nouveau, aucune mention faite de cette thématique récurrente de la pulsion de mort, du suicide, dans la filmographie de William Friedkin. Mais sans prévenir, le cinéaste de Chicago se lance dans une description des jardins zen japonais, où les pierres parfaitement placées dans la mer de sable lui avaient évoqué les continents incapables de se rencontrer, puis… les humains. Et d’avoir les larmes aux yeux en le disant. Moment aussi inattendu que touchant… on s’est rapproché du sujet.

Au final, reste un documentaire prenant du début à la fin, Friedkin avait vraiment un talent de conteur hors-pairs, sans aucun déchet dans ses phrases.
Et on reste, en tout cas moi, maintenant forts maussades de savoir que se régaler de ses nouvelles interventions, de ses anecdotes, de son humour, de sa sincérité absolue, et bien tout ça, c’est maintenant bel et bien terminé.

- Arthur Cauras.




mardi 14 novembre 2023

LA NURSE (William Friedkin - 1990)




LA NURSE
(William Friedkin - 1990)


En 1990, William Friedkin est au bout du rouleau. Commercialement, il enchaîne échec sur échec, notamment celui de son pourtant excellent SANG DU CHATIMENT, carrément bloqué pour problème de droits. Il ne cesse de se remettre en question, doute, et ne sait pas comment remonter la pente d’autant qu’on ne lui propose plus de projets. Le pire qui puisse arriver à un réalisateur…
Un jour, son ancien agent devenu producteur lui apporte le script THE NANNY (d’après le livre de Greenburg) et Billy le trouve faible, notamment pour son style comics-horreur. C’est en effet à la base un projet destiné à Sam Raimi. Mais le script ne plaît pas à grand monde, et même si c’est une comédie d’horreur orientée pour lui, Raimi part finalement sur DARKMAN

William Friedkin sur le tournage de LA NURSE

Toutefois, Friedkin veut faire un retour d’ascenseur à cet agent qui l’a beaucoup aidé à ses débuts, notamment en le plaçant sur l’épisode de la fameuse série ALFRED HITCHOCK PRESENTE.
Friedkin cherche une accroche pour se rattacher au projet, et se souvient d’une anecdote assez sinistre, durant laquelle il avait laissé à une nounou la garde de son bébé le temps d’un week-end. Lorsqu’il était revenu, il l’avait trouvée en pleurs; elle s’était faite volée ses papiers et son argent, et a fini par lui avouer qu’avec une amie à elle, elle avait couché avec deux hommes dans le lit-même de Friedkin, alors que le bébé dormait à côté ! Cette anecdote d’une « nounou de l’enfer » a donc infusé dans le projet, et il a fait changer le titre original en THE GUARDIAN.
Pendant un temps, il est question de retirer tout élément fantastique du projet, notamment sous l’impulsion de l’actrice jouant la nurse, Jenny Seagrove, mais le studio refuse car veut pouvoir associer le nom de Friedkin à un film d’horreur, pour essayer de réactiver le phénomène L’EXORCISTE. Les producteurs s'en mordront les doigts plus tard devant le carton de LA MAIN SUR LE BERCEAU (Curtis Hanson, 1992).
En attendant, il est prévu de faire de LA NURSE un conte de Grimm contemporain, avec toute la noirceur et la méchanceté nécessaires.


Pour la première fois de sa carrière, Friedkin va travailler en grande partie en studio - lui qui a toujours préféré les décors réels et les extérieurs. Jusque dans la salle d’accouchement, plongée dans un noir profond. Cela joue plutôt en faveur de l’aspect « conte » du film, et l’expérience acquise sur l’enfer de SORCERER lui permet de rendre la nature inquiétante et oppressante, dont les végétaux sont balayés de bourrasques surnaturelles.
Comme dans beaucoup de ses projets, William Friedkin va aller chercher certains de ses comédiens sur les planches, en représentation au théâtre, et chacun livre une belle performance. On se rappelle de l’interprète du père Karras, Jason Miller, qui n’avait jamais joué dans un film avec L’EXORCISTE, idem pour William Petersen sur TO LIVE AND DIE IN L.A.
Sur le tournage, il reste fidèle à lui-même : aimant la spontanéité, laissant la caméra continuer à tourner pour voir si les acteurs proposent quelque chose d’intéressant durant ce flottement… et tirant un coup de feu à blanc de l’autre côté d’une feuille de décor pour obtenir ce qu’il cherchait d'une actrice ! Dans le making of, on le voit hurler face à elle, hors champ, pour la terrifier. Friedkin a toujours été ce mélange de génie et de sale gosse s’amusant pour obtenir ce qu’il cherchait…


L’interprète de la Nurse, Jenny Seagrove, a raconté qu’on disait de Friedkin qu'il était en dépression, mais il ne montrait rien. C’est au moins la 2eme fois qu’il en sera fait mention dans la carrière du cinéaste, et c’est d’ailleurs une thématique jamais mise en avant dans les différents articles ou livres qui lui sont consacrés… ses personnages sont régulièrement frappés de dépression, de pulsion de mort qui les amène parfois jusqu’au suicide.
C’est présent très tôt ; L'EXORCISTE (le père Karas), POLICE FEDERALE L.A (Chance via par ex le saut en élastique et la poursuite à contre-sens, mais aussi le personnage de Masters), RAMPAGE (1er montage), SORCERER (la rédemption des protagonistes est aussi avant tout une errance abyssale, et Friedkin refuse d'en soulager le héros à la fin), THE HUNTED (le soldat Hallam), ou même un film comme JADE laissant au final le personnage-titre au plus mal dans sa peau, dans un enfer mental pire que ce qu'elle vivait jusqu'à présent (fuir une routine mortellement rébarbative)... BUG en est peut-être l'acmé, car amène 2 êtres en déperdition jusqu'à un final on ne peut plus démoralisant (on rappelle qu'à la base, ce sont des victimes de la dureté de la vie et qu'ils n'ont rien fait de mal).
Friedkin ne travaille hélas toutefois rien de semblable dans LA NURSE, proposant des personnages très creux, archétypes du cinéma d’horreur du dessous de la moyenne, et à l'opposé de ce qui fait l'un des attraits principaux de son oeuvre globale. Pas de nuance, pas de protagoniste timoré et déchiré entre le bien et le mal.


Malheureusement, LA NURSE pâti aussi des ré-écritures ayant eu lieu lors du tournage (Volk ayant fait un burn-out, c’est Friedkin qui s’y collait en plus du reste). On a souvent des difficultés à gober certaines réactions et situations tirant le film dans le registre de la petite série B. Notamment le fait que la Nurse soit forcée d’officier dans un secteur restreint entourant l’arbre maléfique… les bébés disparaissant régulièrement, on ne voit pas comment cette entreprise peut finir, et on comprend mal ce que la Nurse en retire pour elle. L’assaut final du père à coups de tronçonneuse sur l’arbre maléfique évoque EVIL DEAD 2, certainement un reliquat du premier scénario prévu pour Sam Raimi, écartelant le film entre deux courants dont celui grandiloquent ne jouant pas en sa faveur.
Pas évident non plus de croire dans la crédibilité de cette scène où des petites frappes deviennent vite ultra violentes de façon caricaturale, face à la nurse et à un nourrisson, sans raison… la mort de la 1ere nounou sélectionnée n'a également aucune explication en rapport avec la mythologie du film. Certains effets stylistiques, notamment les apparitions au cut d'éléments censément stressants, fonctionnent là-aussi péniblement.

Friedkin a toujours dit qu’il voyait ses films comme ses enfants; impossible d’en dire du mal… LA NURSE est toutefois l’exception confirmant sa règle : "La Nurse n’est pas un bon film, je ne l’aime pas. Je l’ai tourné pour un ami producteur, je n’avais pas d’autre projet en vue à l’époque, donc j’ai dit oui, et j’ai échoué. C’est tout ce que je peux vous dire."


Il n’en reste pas moins que certains moments de flippe (la Nurse sous son aspect « végétalisé » traquant la mère et son nourrisson), et de bravoure fonctionnent très bien et sont spectaculaires, notamment le massacre des petites frappes tombant dans le traquenard fatal de l’arbre. La meilleure séquence du film restant celle, étalée sur une bonne dizaine de minutes, concernant l’ami architecte cherchant à raccompagner la Nurse de laquelle il est tombé amoureux. Il finit par la suivrede nuit dans les bois, avant de découvrir sa véritable nature, finissant par fuir chez lui, le tout en faux-rythme, avec de longs moments de tension, les coyotes rodants, visibles par les grandes fenêtres de sa villa… Friedkin démontre ici qu'il n’a rien perdu de sa science du montage et du découpage.
Il parvient régulièrement à diffuser une atmosphère dérangeante, troublante, par le biais d’une scène de rêve comme il en a le secret, et en jouant sur l’apparence de la Nurse qui est séduisante mais peut avoir des expressions inquiétantes… mises en avant par de très beaux plans contrastés, des clairs/obscurs tranchants d’ailleurs avec ce qu’il fait depuis ses débuts.


LA NURSE n’est pas le film de la honte, le problème étant qu’il émane d’un cinéaste de génie, dont on attendait forcément beaucoup. Il était malheureusement très amoindri à cette époque, et cela allait durer encore quelques années avant le très bon JADE.

- Arthur Cauras.





mardi 3 octobre 2023

BUG (William Friedkin - 2006)



BUG
(William Friedkin - 2006)


On dit souvent qu'un film se bonifie avec l'âge. Le 18e film de William Friedkin a vu sa puissance croître et devenir plus imparable que jamais depuis 2006... En effet, il y est question de paranoïa et de complotisme. Ca, c'est la première lecture. La seconde propose bien évidemment une zone grise, un état de doute constant chez le spectateur comme a toujours aimé le créer Hurricane Billy. Car pour lui, le cinéma est un art, et on fait de l'art en poussant les gens à la réflexion et au débat, en les troublant.

En partant de ce postulat, on peut dire que BUG est l'un de ses films les plus aboutis -- et également l'un de ses plus rudes et sombres.

Le film, issu d'une pièce de théâtre, raconte comment une femme très fragilisée par la disparition de son enfant de 4 ans, va rencontrer un ancien militaire meurtri par la guerre et des expériences scientifiques de l'armée... visant à injecter des insectes sous la peau des soldats.


Bien sûr, les spectateurs qui vont voir BUG sur le postulat de la tagline de l'affiche "par le réalisateur de L'EXORCISTE" en seront pour leurs frais, tout comme à l'époque, ça avait été le cas pour ceux ayant été à la projection de SORCERER, en pensant que le titre allait amener quelque chose de fantastique de l'acabit du chef d'oeuvre de 1973.

Le doute est distillé durant tout le film (à quel point le récit du militaire est vrai?), même si certains indices sont là, comme le papier tue-mouches et les vibrations à l'intérieur de la pièce par rapport à ce que l'on perçoit de l'extérieur (encore faudrait-il prendre en compte le fait que l'extérieur n'est pas une projection mentale). Toujours est-il que le tour de force de BUG est sa propension à nous mettre dans la peau (c'est le cas de le dire) de gens brisés par la vie, complètement élimés et tellement en déperdition qu'ils sont prêts à se raccrocher à n'importe quel signal lumineux, aussi tordu soit-il, pour émerger ne serait-ce qu'un minimum du fond du trou dans lequel ils sont enterrés.

Le couple, la fusion de ces deux êtres, et l'acmé de leur relation est d'une fatalité tant logique que déprimante. C'est le nihilisme propre au cinéma de Friedkin sous sa forme la plus cinglante.


Au cinéma, vous avez la paranoïa façon X-FILES, avec des héros qui cherchent à prouver un grand complot, et le combattent avec force rebondissements et alliés / traîtres / ennemis. Et vous avez celle de Friedkin, où rien n'est épique, tout est une question de mal-être et de tourments infinis. La solitude face aux autres, contre la solitude face à soi-même.

Au passage, le dialogue de la dernière séquence, où "le puzzle se met en place", où l'héroïne épouse les idées et le point de vue du militaire, dans une chute inexorable, est absolument prodigieux, et touche certainement du doigt ce qui peut se passer dans l'esprit de personnes finissant par se perdre dans des idéologies radicales, depuis l'avènement des sociétés modernes et pour longtemps encore, à n'en pas douter.

BUG a été réalisé dans le dur : 20 jours de tournage, un incendie qui ravage le décor et quelques jours avant que toute la zone ne soit inondée, avec pour résultat un des nombreux chefs d'œuvre de William Friedkin, et clairement "un des films d'horreur les plus perturbants que vous pourrez voir", comme l'avait spécifié une critique américaine de l'époque.

- Arthur Cauras.


ps: lire le Mad Movies 374 contenant bon nombre d'interviews d'artistes et techniciens au sujet du génie de Chicago, notamment le chef décorateur de BUG.








dimanche 27 août 2023

ALIEN 3 (David Fincher - 1992)


ALIEN 3
(David Fincher, 1992)

Le 3ème ALIEN a choqué à son époque, et choque encore. Avec à la base des noms comme Terry Gilliam et Danny Boyle à la réalisation, et moult versions de scénarios toutes plus différentes les unes que les autres, ce film a été un enfer a créer, jusqu'au bout. Pour un résultat marquant, qu'on l'aime ou pas.



ALIEN, LE 8eme PASSAGER, pose des bases et une mythologie proprement sidérantes, et surtout inépuisables.
Le 2ème film, ALIENS LE RETOUR, est à part au sein des 3 premiers, plus lumineux, porteur d'espoir avec cette héroïne sauvant une fillette armes aux poings.
Le 3ème opus apporte une nouvelle touche dans cet univers, il est funèbre, mystique et désenchanté. Il reprend le concept du 1er, et le pousse à son paroxysme : "Dans l'espace, personne ne vous entendra crier", soit la solitude extrême, le côté poussière dans l'immensité d'un grand tout infini, dont personne ne se préoccupe ni n'a même conscience.
Le film de David Fincher pousse également un autre élément récurrent de l'univers d'ALIEN: le réalisme, le côté rugueux voire poisseux d'un quotidien dans l'espace. Ici, on échoue dans une planète-prison oubliée de tous.

Unique survivante du dernier massacre perpétré par des monstres à l'insatiable appétit, Ripley échoue dans une colonie pénitentiaire sinistre, sur la planète Fiorina 161. L'une des monstrueuses créatures l'a suivie, cachée dans son vaisseau spatial.

L'un des 1ers plans de la planète donne le la: 
c'est un véritable cimetière.

Ajoutons à cela le fait que les rares êtres vivants du film soient des détenus issus d'un passé forcément malsain, que la planète sur laquelle se déroule l'action soit le trou du cul de la galaxie, une décharge à ciel ouvert même pas entièrement peuplée, seulement d'une poignée de dispensables. Des dispensables, des laissés-pour-compte, des ordures dans tous les sens du terme, qui ne sont tenus que par une seule chose, la religion, et qui vont donc voir l'arrivée du "dragon" comme l'annonciateur de leur armageddon.
L'aspect misérable est renforcé par le fait qu'à un moment donné, ces détritus oubliés de tous et respectés de personne, décident de suivre Ellen Ripley pour former une équipe digne de la Cour des Miracles afin de donner au tout dernier moment de leur misérable vie, un semblant de sens à celle-ci, tandis que les pourritures de la Compagnie arrivent pour essayer de mettre la main sur le xénos.


A chaque film ALIEN son androïde (appelé "synthétique" dans la mythologie); le 1er était un belliqueux traître à la solde de la Compagnie, le 2ème un fidèle allié... ici ce sont les restes, un tronc souffrant le martyr réactivé seulement le temps de pouvoir comprendre ce qui a bien pu se passer. Certaines théories remettent même en question la bienveillance émanante de Bishop dans le 2ème volet : on peut imaginer qu'il a eu le temps de placer les oeufs lui-même dans le module de survie à la fin. Ce qui expliquerait également pourquoi il veut être désactivé à jamais dans le 3ème film; la culpabilité. Quoiqu'il en soit, le fait de voir le créateur de Bishop en chair et en os à la fin, animé de mauvaises intentions, ternie cette image bienveillante et renforce l'ambiance désillusionnée de l'entreprise.

ALIEN 3 est un film autant rude qu'audacieux, avec son héroïne violée dans son sommeil (la fécondation par le face-hugger !), qui voit ses attributs féminins disparaître (les cheveux rasés), qui manque d'être victime d'un viol collectif, avant de se sacrifier... sans parler de la mort brutale sans emphase de 2 des héros du précédent opus, et de l'autopsie d'une jeune enfant...
Un cocktail inattendu, ultra-original et faisant à nouveau avancer la saga, à l'époque. Le jeune David Fincher (27 ans) - qui allait se faire concasser par le studio, dévoilait déjà tout son talent; les clairs-obscurs sont de toute beauté, ses plans sont des tableaux dans lesquels il fait appel à une imagerie médiévale rétro-futuriste durablement marquante : absence d'armes à feu, la fonderie, les habits-guenilles, quasi aucune technologie, Ripley vue comme une Jeanne D'Arc, etc.


Tout ça est d'un brillant sans équivoque. Pas de la même façon que le 1er, encore une fois, mais ça l'est quand-même.
Ce projet sera passé par bien des phases, par bien des scénarios : le premier voyait l'histoire se dérouler sur une station orbitale en bois abritant des moines reclus, ayant fait voeux "d'abstinence technologique". La fin montrait l'un d'eux se sacrifier dans les flammes avec l'alien rentré dans sa gorge, pour permettre à Ripley de reprendre sa navette... idée que gardera Sigourney Weaver pour la fin que l'on connaît. 
D'autres idées seront gardées des scripts précédents: les codes barres à l'arrière du crâne des détenus viennent du romancier William Gibson, par exemple (son scénario a été porté en comics sorti il y a peu chez Vestron; on est plutôt heureux qu'il n'ait pas été retenu à l'époque).

Concept-art issu du scénario de Vincent Ward, dont certaines idées
se retrouveront dans la version finale, mais aussi,
bien des décennies plus tard, dans le comics ALIENS : RENOUVEAU.

La façon dont ont été conçu chacun des ALIEN de la fabuleuse trilogie initiale les ont totalement imprégnés. Le 1er, résultat du travail acharné et prodigieux de nombreux génies (Ridley Scott, Ron Cobb, Moebius, HR Giger, Dan O'Bannon...) est un film foisonnant, d'horreur et de SF certes, mais avec une mythologie vertigineuse... ALIENS LE RETOUR a été une guerre à l'écran mais aussi en coulisse, réalisé dans le dur par le canadien James Cameron rejeté par l'équipe anglaise durant le tournage, qui vénérait Ridley Scott; il a du se battre et crier tous les jours pour arriver au résultat que l'on connait: un survival guerrier chaotique où les humains vont au charbon.
ALIEN 3 a été accouché dans la douleur, dans la fatigue, la déperdition. C'est un résultat défiguré et renié par Fincher... C'est un film qu’on sent imparfait, et volontairement ou non, ça nourrit davantage encore son réalisme et son univers composés de personnages dissonants et brisés.

En ce qui concerne la vision première de Fincher, on peut la découvrir en partie dans "l'Assembly cut" d'ALIEN 3 présent sur le bluray, mais aussi par le biais de la lecture de la novélisation qu'avait écrite le spécialiste de l'époque, Alan Dean Foster.
Le livre a été écrit selon le scénario de l'époque, qui diffère donc du film final que l'on connait: l'alien ne sort pas d'un chien mais d'un des boeufs ayant servi à l'extraction de la capsule de Ripley au début, il est donc extrêmement massif (plus que ceux des aventures précédentes, comme le stipule Ripley), et il mue.
On a tout un arc narratif supplémentaire concernant le détenu Golic, un dangereux retardé mental qui parvient à se défaire de sa camisole de force dans l'infirmerie pour aller libérer l'alien initialement capturé avec brio par les prisonniers, dans une sorte de chambre de décompression.


Un personnage ici fort intéressant, car comme le dira moult années plus tard David Fincher dans sa seule interview sur ce film dont il ne veut jamais entendre parler, l'idée était de faire des 2 parias de cette planète-déchet, Ripley et Golic, les nouveaux Adam et Eve attendant le renouveau... du moins du point de vue tordu de Golic. 
Enfin, lorsque Ripley se lance dans le métal en fusion, à la fin, la reine alien n'émerge pas de son torse, mais il est décrit qu'un spasme projette du sang de l'intérieur sur son t-shirt, évoquant un stigmate entérinant l'image christique de Ripley, tombant en arrière les bras en croix. La fin de la version cinéma, avec l’alien, donc, avait été retournée afin de se démarquer de celle de TERMINATOR 2, sorti à cette période. Au grand dam de Fincher…

Je vous laisse vérifier quels sont les films dits "maudits" dans les 2020's... 
ALIEN 3 est certes un film maudit, mais des films maudits de cette trempe, de cette maestria, de cette profondeur, on en voudrait toutes les semaines, tous les jours. 
C'est un chef d'oeuvre qui conclut de façon magistrale une trilogie qui ne l'est pas moins.


- Arthur Cauras.


ps: article parlant de la version du scénario de Vincent Ward. Le blu-ray du film contient énormément d'infos sur cette tumultueuse production, sans aucune langue de bois !


dimanche 7 mai 2023

CONQUEST (Lucio Fulci - 1983)



CONQUEST
(Lucio Fulci - 1983)

Film mal-aimé du maître italien de l'horreur, ce CONQUEST est sa seule incartade dans le domaine de l'Heroic Fantasy. Malheureusement pour lui, il partira avec des moyens trop limités pour mettre correctement en scène sa vision de ce monde parallèle, ce qui fait parfois pencher CONQUEST vers le Z plutôt que le B. En tout cas, on est bien dans le cinéma d'exploitation italien de la belle époque, et Fulci parvient tout de même à faire opérer la magie qui est la sienne.


Peut-être pas la magie de ZOMBI 2 ou du VENIN DE LA PEUR, mais une magie certaine qui hypnotise et captive en mélangeant à bonne dose photographie / scénographie / musique et idées atypiques. Comme lorsque le duo de héros fuit et que le plus jeune prend une flèche dans la jambe, qui la fait puruler -- forcément, on est chez Fulci ! Le protagoniste part en quête d'herbes, et tandis que des fourmis investissent le corps de son ami dans le coma, il tombe dans un traquenard près d'un marais : des zombies aquatiques sortent de l'eau et l'agressent. La musique de Claudio Simonetti (des Gobelins!) se lance durant la rixe à mort, les zooms et dézooms opèrent, les détails macabres en ajoutent à la patte fulciesque, et on est régalés.

Plus tard, l'un des protagonistes meurt décapité par la sorcière. Le héros rend hommage à son corps, avant de se lancer dans un rituel assez dérangeant : immoler son cadavre, le regarder saigner et se désagréger, avant de se oindre le visage de ses cendres encore fumantes afin d'avoir la force de combattre les forces obscures...

Ce passage hautement mélancolique place CONQUEST, qu'on aime ou pas, parmi les oeuvres personnelles de son auteur. 


D'ailleurs, le plan final assez banal dans l'imagerie du Western et de l'Heroic Fantasy prend un tout autre sens sous chez Lucio Fulci : le héros, à la base misanthrope (son tatouage frontal "Tout homme est mon ennemi"), repart après avoir perdu son nouvel ami, et surtout totalement seul et sans rien avoir gagné dans l'aventure. Fulci avait en effet un attrait pour la mélancolie et avait vécu la profonde dépression de sa femme pendant des années de très près, avant son suicide.

CONQUEST a bien et bien l'âme de son auteur, et c'est sans compter d'autres thématiques récurrentes de sa filmographie comme la présence de rêves, de rupture violente d'un moment poétique (le jeune charmé par la troglodyte qui se fait éclater le crâne tandis qu'il ferme les yeux, s'attendant à un baiser), et plus que jamais une atmosphère onirique du début à la fin du film.
En effet, pour palier au manque d'argent, Fulci et son chef op Alejandro Ulloa (qui retravaillera sur le très bon LE MIEL DU DIABLE) filment à contre-jour, jouent avec les flairs et le silhouettage, sans oublier d'envoyer la machine à fumée pleine balle sur tous les plans.


Comme dans beaucoup de Fulci horrifiques, les acteurs sont souvent aux fraises, mais quand on regarde CONQUEST sous le prisme d'un rêve éveillé - ce qu'il convient de faire avec toute sa filmographie, ça joue en faveur du film.

Certains des fans du grand Richard Corben, dont je fais parti, pourront voir dans certaines idées et personnages des références à son héros emblématique: Den. Particulièrement dans LA SAGA DE DEN (notamment les hommes loups, les charniers, le gore mélangé à l'action, etc).

CONQUEST ne plaira pas à tout le monde, mais en hypnotisera certains à coup sûr, son statut unique à ma connaissance de film gore d'Heroic Fantasy faisant son petit effet. Il fait clairement partie du top 10 de ce qu'a pu produire Lucio Fulci, me concernant.

- Arthur Cauras.





vendredi 13 janvier 2023

PROIES & CHASSEURS : les films de chasse à l’homme


PROIES & CHASSEURS :
Les films de chasse à l’homme


AVANT-PROPOS

Apparu très tôt dans l’histoire du cinéma, le concept d’hommes chassant à mort ses semblables ne s’est jamais essoufflé. Le film de chasse à l’homme en appelle à notre fibre archaïque, à nos instincts primaires pour nous impliquer en tant que spectateur, d’autant que ce sont (presque) toujours des innocents qui servent de gibier. On attend forcément ce moment où la proie va mettre à mal son agresseur.

Il existe trois types de films de chasse à l’homme : celle se déroulant officieusement, souvent sous l’impulsion d’une élite de nantis en mal de sensations fortes. C’est le cas de Chasse à l’Homme (John Woo, 1993) dont vous avez l’édition collector entre les mains. Il y a ensuite la chasse dans le cadre d’un jeu officiel, parfois télévisé, créée par une dictature en place.

Et enfin, celle tenant plus du Survival (ces récits âpres montrant des personnages tenter de survivre en milieu hostile), prenant la forme d’une traque vengeresse, ou dans le but d’appliquer une forme de justice souvent biaisée.

En fin d’article, vous trouverez les liens des articles que j'ai écrit concernant 12 films représentant le mieux les deux premières catégories.

Le traumatisant Punishment Park a marqué toutes les mémoires.

DYSTOPIES

Si le genre a été initié par un film faisant toujours autorité, Les Chasses du Comte Zaroff (Schoedsack & Pichel, 1932), il trouve souvent sa place au coeur des dystopies. Les sociétés futuristes du cinéma d’anticipation sont rarement bienveillantes, et pas mal d’entre elles fonctionnent sur la maxime « du pain et des jeux ». Le tout est de concevoir un jeu qui abrutira les foules ; mélange de hockey et de handball avec possibilité de tuer dans Rollerball (Norman Jewinson, 1975), courses de voitures customisées en armes létales dans La Course à la Mort de l’An 2000 (Paul Bartel, 1975)… Les Gladiateurs de Peter Watkins (1969) raconte comment les grandes puissances mondiales en sont venues à organiser les Jeux de la Paix, via la reproduction de théâtres de guerre censés remplacer les vraies qui éclateraient forcément sans ça. Watkins reviendra quelques années plus tard avec son traumatisant Punishment Park (1971), tourné façon reportage et montrant de jeunes dissidents de la politique américaine jetés en pâture à la police, dans une étendue désertique.

Le monde de l'animé comporte lui aussi son lot
de réussites sur le sujet, ici la série B-tooom!

Les Condamnés (Scott Wiper, 2007), et la série animée B-TOOOM! (Kotono Watanabe, 2012) marchent quant à eux sur les traces de Battle Royale (Kinji Fukasaku, 2001): il y est question de s’entre-tuer pour une raison ou une autre, isolés de tout sur une île. L’état américain permet une fois par an de céder à ses pulsions de meurtre pendant une nuit entière, c’est le cadre de la saga The Purge (James de Monaco). Dans les deuxième et troisième volets, nous y suivons des groupes de personnes pourchassés par des graines de malades mentaux équipés pour les circonstances. Dans Running Man (Paul Michael Glaser, 1987) et Le Prix du Danger (Yves Boisset, 1983), des citoyens se font traquer par des professionnels, sous le regard des foules déchaînées et surtout distraites des problèmes du quotidien. Le concept de chasse à l’homme revient donc régulièrement dans ces dystopies où des jeux mortels sont mis en place pour soit-disant canaliser la violence de l’humain. La saga Hunger Games a certainement été le plus gros succès international basé sur ce concept simple mais toujours aussi efficace.

Une des rares incartades françaises dans le sous-genre
nous concernant, avec le Prix du Danger.


TERRAIN DE CHASSE

De jeu, il en est aussi question dans le très réussi Les Proies (Gonzalo López-Gallego, 2007), mais impossible d’en dire plus sans dévoiler le message assez inattendu de ce film espagnol, qui nous fait suivre un duo pris pour cible par un mystérieux sniper.

Le cinéma hispanique a pondu un autre film dans ce répertoire : Paintball (Daniel Benmayor, 2009), dont le titre contient tout le concept. Des petits jeunes voulant jouer à la guerre en forêt vont être pris pour cibles et éliminés par un tueur, le Limier, équipé d’armes à feu bien réelles. Les mises à mort sont très glauques, et Paintball préfigure en partie The Hunt (Craig Zobel, 2020), avec son élite sociale planquée dans un bunker afin d’assister avec délectation aux massacres. En parlant de glauque, on passe de l’Espagne à la Norvège avec le craspec Manhunt (Patrik Syversen, 2008), se déroulant en 1974, opposant comme souvent des citadins à des ruraux faisant preuve d’une grande cruauté (langues coupées, pieds mutilés, éventration d’un paralysé…), tellement qu’on a d’ailleurs du mal à y croire. Rob Zombie n’est pas plus partisan d’une horreur lisse dans son 31 sorti en 2016, où des détraqués mentaux écharpent avec sauvagerie des saltimbanques parqués dans un hangar.

Le chassé devient chasseur dans Predator.

La jungle est le terrain de chasse du Predator dans le film éponyme de John McTiernan (1987), un extra-terrestre belliqueux cherchant à s’éprouver face aux proies les plus coriaces : un commando sur-entraîné. Chef d’oeuvre qui sera putassièrement copié-collé dans le mauvais ADN - La Menace (William Mesa, 1997) avec le pourtant bon Mark Dacascos.

Get Duked! (Ninian Doff, 2019) est sans conteste le plus léger et drôle de tous les films de cette liste, avec ses adolescents débiles subissant une randonnée scolaire, avant de se retrouver dans la ligne de mire d’aristocrates bon teint… et de découvrir une aide inattendue dans la consommation de crottes de lapin hallucinogènes !


MORALE

Le cinéma de série B est en général très moralisateur : un personnage responsable d’actes répréhensibles le paye toujours d’une façon ou d’une autre. Le genre qui nous intéresse ici ne déroge pas à la règle, c’est en quoi Face à Face (Mark Steven Johnson, 2013) sort son épingle du jeu. Un vétéran de la guerre de Bosnie (de Niro) est hanté par les horreurs qu’il a vécu là-bas, dont le fait d’avoir abattu dans le dos des membres de l’escadron de la mort serbe. Il se trouve que l’un d’eux (Travolta) a survécu et a passé sa vie à ruminer sa vengeance. Une traque au grand air permettra de drainer un mal-être auto-destructeur, de faire la paix avec l’autre mais surtout avec soi-même.

Essential Killing (Jerzy Skolimowski, 2010), quant à lui, prend le pari osé de nous faire suivre un taliban échappé d’un lieu de détention U.S, les forces armées américaines à ses trousses… Tout sera bon pour survivre, y compris téter le sein d’une jeune mère tétanisée afin de se réhydrater !

White Bear nous met face à nos bas instincts d'une manière imparable.

Dans Black Mirror, la série qui vous concasse le cerveau autant que le moral, il est également question de chasse à l’homme. Enfin, en l’occurrence d’une jeune femme se réveillant dans un endroit qu’elle ne connait pas, amnésique. Elle prend peur quand elle comprend qu’elle est épiée, filmée au téléphone puis poursuivie par des gens cagoulés qui la menacent avec des armes… L’explication finale de White Bear, glaçante comme à l’accoutumée avec ce show, créée une empathie qui serait en temps normal absolument impossible vis-à-vis d’un personnage aussi écoeurant. Et nous met alors mal à l’aise face à nos pulsions extrêmes d’auto-justice.


ET LES FEMMES ?

Les femmes ne sont pas épargnées par le genre, loin de là, comme le démontre le chatoyant Revenge (Coralie Fargeat, 2017) avec ses atours de Rape & revenge (justement). Dagmar (Roar Uthaug, 2012) se déroule en 1363 et narre l’histoire de Signe, une jeune femme de 19 ans qui survit au massacre de sa famille. Elle est enlevée par un clan mené par Dagmar, une guerrière impitoyable qui cherche une mère porteuse pour faire une petite soeur à sa fille adoptive… Signe prend la fuite, la poursuite peut commencer. La cheffe des poursuivants est particulièrement marquante, avec ce flashback inattendu faisant comprendre le monstre qu’elle est devenue. L’autre réussite du film est son traitement du deuil et de la perte d’êtres chers, comme en atteste cette séquence simple mais forte, où Signe est contrainte de revenir s’abriter dans une maison abandonnée… Où se trouve encore le cadavre fumant de l’homme qui avait tenté de l’aider.

Le désespéré La Traque dresse un portrait de société
aussi cinglant qu'écoeurant.

Parfois, la victime connait un destin plus tragique encore. La Traque (Serge Leroy, 1975) prend place dans la campagne normande où une jeune anglaise se fait violer lors d’une partie de chasse organisée par sept hommes issus de la petite bourgeoisie des notables. Elle blesse grièvement son violeur avant de s’échapper, poursuivie par le reste des chasseurs cherchant à acheter son silence… Au départ. La Traque a ceci d’intéressant qu’il met en avant l’hypocrisie sociale battant son plein dès lors que les carrières futures de certains risquent d’être négativement impactées… Au fil du récit, on sort du placard quelques anecdotes pas vraiment brillantes, comme ce cycliste renversé jadis et laissé mort sur la route, le tout maquillé en accident. On se trouve des raisons tirées par les cheveux, en se remémorant le temps où on abattait une milicienne à bout de forces pendant la Seconde Guerre Mondiale… Et la clique de ces « bonnes gens respectables » d’être prise dans un engrenage de violence laissant de moins en moins de chances à toute cette sinistre affaire de se conclure sereinement. La Traque est une critique sociale très puissante, une pépite du cinéma français ne faisant aucune concession sur son propos.


TRAQUÉS

Parfois, la chasse à mort est donc lancée sans avoir été prévue, après un événement bouleversant les moeurs locaux. C’est ce qui arrive aux soldats de la Garde nationale de Sans Retour (Walter Hill, 1983), après qu’ils se soient permis de prendre l’embarcation appartenant à des Cajuns, sur lesquels ils tirent à blanc en riant grassement. Un humour qui ne sera pas au goût de tous, et leur coûtera extrêmement cher.

Une maîtresse fuit des criminels avec ses jeunes élèves
de l'Ecole de tous les Dangers.
 

Délivrance montre lors de son dernier acte ses héros poursuivis par un consanguin local, après une atroce séquence de viol ayant marqué les mémoires de cinéphiles. Ridiculisant et humiliant horriblement les citadins se croyant au-dessus de tout (la nature) et de tout le monde (les autochtones), le film de John Boorman est l’une des références absolue du Survival. Egalement pendant son 3ème acte, L’Ecole de tous les Dangers (Arch Nicholson, 1985) s’intéresse à une classe entière d’enfants menés par leur maîtresse, décidant d’arrêter de fuir leurs ravisseurs et de les combattre. Se confectionnant des lances, des pieux ainsi que des pièges artisanaux, ils viendront à bout de leurs assaillants… avec une sauvagerie qui aura raison de leur dernière parcelle d’innocence. Un trophée sera même conservé dans la salle de classe !

Dans l’épisode Le Canyon de la mort de la série culte Les Contes de la Crypte, Kyle McLachlan campe un personnage drastiquement opposé à ceux qu’il incarne habituellement, d’un genre plutôt raffiné. Sortant de prison et abattant gratuitement des innocents, il est pris en chasse à travers le désert par un motard de la police qui ne le lâchera pas d’une semelle… mourant, le flic se menottera au criminel, devenant littéralement un fardeau pour lui, sous un soleil de plomb !

Rambo, une proie extrêmement mal choisie
par les habitants de la petite ville de Hope.

Les grands espaces jouent en effet souvent contre les héros qui n’y sont pas préparés. Ce n’est pas le cas de Charles Bronson dans Chasse à Mort (Peter Hunt, 1981), incarnant un trappeur harcelé par un groupe mené par le propriétaire violent d’un chien battu, qu’il aura pris sous son aile. Lorsque sa maison sous état de siège est finalement détruite à la dynamite, l’homme part seul dans les montagnes enneigées, direction l’Alaska, poursuivit par une délégation policière et de quidams armés jusqu’aux dents, sa tête étant mise à prix. Un autre homme se sent comme un poisson dans l’eau alors qu’il est acculé dans une forêt ; il s’agit du soldat solitaire de Rambo (Ted Kotcheff, 1982). Cristallisant le mal-être des USA vis-à-vis de ses vétérans envoyés à la boucherie, Rambo montre aussi la détresse psychologique dans laquelle peut tomber le plus dur des hommes, face à l’injustice de ses semblables n’éprouvant aucune empathie à son égard, et surtout ne cherchant pas à le comprendre. Cette impossibilité de trouver quelqu’un qui l’écoute amènera John Rambo à exploser dans la violence, avant de fondre en larmes lors d’une séquence finale bouleversante. Traqué (William Friedkin, 2003) marchera brillamment sur les traces de son aîné, montrant là-aussi une machine à tuer rendu défectueuse par les multiples traumas de la guerre, que cherche à stopper son ancien instructeur.


CONCLUSION

Dans ces films se déroulant souvent dans un laps de temps très réduit, les pourchassés en arrivent quasiment toujours au moment-clé où ils refusent leur statut de victimes désignées. Dès lors, l’attaque devient la meilleure défense, même s’ils y laisseront des plumes, physiquement et/ou psychologiquement. Genre métaphorique par excellence, le film de chasse à l’homme a de beaux jours devant lui…


Arthur Cauras.


nb : ce sujet est issu de mon article "Proies et chasseurs : les films de chasse à l'homme", présent dans le livret collector de l'édition limitée de la VHS box CHASSE A L'HOMME éditée chez ESC éditions à 1000 exemplaires, aujourd'hui épuisée.
Ce livret était voulu "interactif" : outre les QR codes flashables pour accéder aux trailers des films cités, il y était mentionné des informations qu'on ne trouvait pas dans le bluray/DVD, et vice-versa.



- Liens menant aux films qui faisaient l'objet des 12 focus suivants mon article :

Article QUE LA CHASSE COMMENCE !

Article LA PROIE NUE

Article RUNNING MAN vs. LE PRIX DU DANGER

Article LES TRAQUES DE L'AN 2000

Article AVENGING FORCE

Article PREDATOR
Article THE HUNT
Article PUNISHMENT PARK
Article BATTLE ROYALE
Article CHASSE A L'HOMME
Article LES CHASSES DU COMTE ZAROFF



dimanche 8 janvier 2023

AENIGMA (Lucio Fulci - 1987)

AENIGMA
(Lucio Fulci - 1987)

C’est dur de parler négativement d’un film de Fulci tant ce dernier mérite le respect. Mais difficile de sauver quelque chose de cet AENIGMA tourné alors qu’il était à cette époque affaibli par ses problèmes de santé (voir d'ailleurs son faciès émacié lorsqu'il joue le rôle de l'inspecteur dans une courte séquence). Rien ne se tient vraiment dans ce mélange contre-nature de CARRIE (pour la victimisation), PATRICK (pour les pouvoirs développés dans le coma) et SUSPIRIA (pour le lieu)… qui ressemble bien plus à un téléfilm sans le sou qu'à un film de cinéma, et surtout pas à un film du maestro.

Comme ça a été dit de nombreuses fois, la puissance des réussites de Fulci tenait à sa virtuosité, à son génie de mise en scène, mais aussi au talent de ses collaborateurs. Le chef opérateur Sergio Salvati (THE PSYCHIC, CONTRABAND), les scénaristes Roberto Gianviti (PERVERSION STORY, LE VENIN DE LA PEUR) ou Dardano Sacchetti (ZOMBI 2, FRAYEURS), le compositeur Fabio Frizzi (ZOMBI 2, L'AU-DELA), le monteur Vincenzo Tomassi (du VENIN DE LA PEUR jusqu'à la fin), le maquilleur Giannetto De Rossi (LA MAISON PRES DU CIMETIERE)... Quand tout ou partie de ces soldats étaient réunis pour un de ses métrages, la magie allait opérer à coup sûr, au moins en partie.


Mais comme il l'a dit en interview pour la promo de AENIGMA, le cinéma italien dépérit dans les années 80, et son équipe de cœur explose, plusieurs de ses collaborateurs partant bosser pour Bertolucci, la télévision ou même aux USA. Fulci se retrouve donc avec une équipe secondaire, des techniciens sans vraiment de talent comme en atteste cette photographie d'une pauvreté embarrassante (on a même droit à des ombres de caméra sur les sujets, misère de misère...), ces effets spéciaux de maquillages très limites, et cette musique véritablement indigeste, terminant de plomber le film dont le postulat de départ n'était déjà pas incroyable.

On a donc cette jeune femme brimée dans son école de danse, pour laquelle malheureusement on n'a aucune empathie, puisque Fulci la fait tomber dans le coma dès la scène d'ouverture, contrairement au film de de Palma qui nous faisait nous attacher de plus en plus fortement à Carrie (jouée par une excellente actrice, ce qui aide aussi). On switche alors sur le canevas du film australien PATRICK, puisque depuis son coma, elle se venge de ses bourreaux. La scène la plus connue du film, la mort d'une femme nue assaillie par une masse d'escargots (...) tombe hélas à plat, desservie par tous les secteurs sus-mentionnés, dont la photo et la musique médiocres...

Inutile pour un spectateur ou cinéphile lambda (entendre : pas fan de Fulci) de tenter l'expérience de ce piteux AENIGMA. Pour les aficionados du Terroriste des genres, ne nous reste plus que le fameux "Marabout-bout-de-ficelle" en place dans la filmo de Fulci depuis son TEMPS DU MASSACRE.
Comprendre : le repérage d'idées venant de films antérieurs de sa filmo, ou qui seront reconduites plus tard. Ici le retour de Fulci dans le milieu de la danse après MURDER ROCK, là l'agression d'un homme par son doppleganger, comme dans CONQUEST. Et aussi l’emprunt d'une morgue façon L'AU-DELA, version wish, ainsi que la même idée plutôt bonne d'un trouble spatio-temporel lorsqu'une femme découvre son amant mort sous les draps. Alors qu'elle cherche à fuir le dispensaire, chaque porte ouverte la ramène inlassablement dans la même pièce, toujours plus choquée par le cadavre étêté de son conjoint. Malheureusement, ce passage est à nouveau gâché par la musique complètement aux fraises de Carlo Cordio.


S'il y a une séquence à sauver de AENIGMA, ce serait celle durant laquelle le médecin fantasme de coucher avec l'héroïne. Durant l'ébat amoureux qui monte en intensité, la jeune femme se montre de plus en plus agressive avant de rappeler les zombies de Fulci, se mettant à lui arracher des morceaux de chair avec les dents ! Un passage onirique, récurrent dans la carrière du réalisateur transalpin, faisant enfin un minimum honneur à son talent. Une scène qui, si on va pousser très loin, préfigure presque l'ouverture de BASIC INSTINCT... Fulci qui dira d'ailleurs plus tard (in L'Ecran Fantastique 149), que Paul Verhoeven lui copiait des idées dont celle dans LA MAISON PRES DU CIMETIERE, lorsque le monstre traîne par les cheveux sa victime dans l'escalier, qu'on retrouvait selon lui dans ROBOCOP !

Le film, laborieusement rythmé, se termine sans explication aucune sur le cas de la fille brimée du départ; pourquoi ces pouvoirs télékinésiques, pourquoi ce lien télépathique avec la nouvelle arrivée, on n'en saura rien... et ce qui est le plus triste, c'est qu'on n'en a finalement pas grand chose à faire.

Pour les personnes ne connaissant pas l'œuvre de Lucio Fulci, c'est un film à éviter, il y a tant à voir de plus impactant dans sa filmographie !


- Arthur Cauras.