dimanche 26 janvier 2020

TOP CINE 2010's : THE DIVIDE



THE DIVIDE
(Xavier Gens - 2011)

Après une frappe nucléaire, une poignée de rescapés part s'abriter dans un sous-sol aménagé par Mickey (Michael Biehn), le gardien de l'immeuble ancien pompier. L'isolation, la faim et le désespoir font lentement sombrer tout ce petit monde dans la déchéance.





Après FRONTIERE(s), le survival dans lequel des jeunes de cité étaient confrontés à des Néo-nazis cannibales (!) et HITMAN, film de commande envoyant la sauce niveau action, il était difficile d'imaginer se prendre un tel OVNI en pleine tête à l’occasion du 3ème film de Xavier Gens.


NAISSANCE DANS LE CHAOS

Au départ lui aussi prévu comme un survival, avec kill-count opéré par une créature lors de scènes d'action horrifiques, THE DIVIDE va être tué dans l’oeuf quand ses financiers initiaux lâcheront le film au moment de la préparation. Il renaîtra dans la foulée et dans la douleur, par le biais d’une nouvelle production arrivée pour sauver tout le travail déjà effectué sur les décors et les costumes.
Le tournage en est repoussé et le casting initial drastiquement modifié : exit Melissa George en Eva et Robert Patrick en Mickey, remplacés par Lauren German (MASSACRE A LA TRONÇONNEUSE) et Michael Biehn (TERMINATOR).
L'équipe change partiellement, le budget se resserre, mais le réalisateur Xavier Gens et ses acolytes sont plus que jamais motivés, surmontant cet obstacle en le transcendant : les mécènes salvateurs ne sont en effet pas regardant sur le ton employé ni sur ce qui sera vraiment narré…

Gens et ses scénaristes se lancent alors dans un véritable nettoyage de printemps ; ils peuvent remanier intégralement le scénario sans risque de censure de la part de la production, le faisant passer du simple slasher se déroulant dans un réseau de caves à... une description aussi juste et sans concession de l'espèce humaine quand elle se retrouve acculée dans une situation sans issue.
Exit la morale bien pensante, le fun ou la préoccupation de ne pas trop secouer le public : le propos de survivance est poussé au bout de son concept, et le portrait sociologique et psychologique qui en resort est d’une noirceur rarement vue sur un écran. 


Le vernis social ne va pas tarder à s'écailler...

Les nouveaux comédiens sont directement mis dans le bain quand Xavier Gens leur donne à voir comme référence SALO OU LES 120 JOURNEES DE SODOME... Ils apportent eux aussi énormément au projet, et s’approprient totalement le script qui est ré-écrit au jour-le-jour.
Recevant les nouvelles pages du scénario la veille de chaque journée de tournage, ils se regroupent, vivent ensemble comme les personnages en suivant la Méthode, et profitent du fait que l’histoire soit filmée dans l’ordre chronologique - fait rare dans l’industrie du cinéma. Perte de poids et sous-nutrition sont de mise pour retranscrire la lente déchéance de cette collectivité de survivants, pour leur donner une véritable densité.


DU DESESPOIR NAÎT LE MAL

Une fois arrivés dans ce sanctuaire inespéré, les personnages voient leurs profils assez lisses et conventionnels voler rapidement en éclats. Les cartes sont redistribuées, et la désespérance va révéler les véritables personnalités : sociopathes sans foi ni loi pour certains, lâches évitant à tout prix les problèmes pour d’autres… Jusque dans sa fin, durant laquelle THE DIVIDE traite de cette thématique de la médiocrité humaine, sous couvert de la volonté de survivre.
Parmi les personnages traumatisant, difficile de ne pas être affecté par Marilyn (Rosana Arquette), la mère de famille privée de son enfant, qui essaye d’atténuer la souffrance de son deuil en cherchant un semblant d’amour auprès de Bobby, homme plus proche du pleutre (voir l’attaque des militaires) que du super-héros… Effet boule de neige ; ça enclenche chez lui la volonté de devenir mâle alpha, lui qui d’autre part se perd sexuellement (maquillage grossier, port de robe montrant également sa domination totale sur la personne à qui elle appartient). 


La déchéance de Bobby (Michael Eklund) l'amenant
sur le terrain très malsain de la domination de groupe.

THE DIVIDE aligne donc aussi des gentils, des soumis, des suiveurs, des empathiques et des dociles… qui sont les premiers à souffrir et/ou à passer à la casserole : la loi du plus fort - du plus sale et sans pitié surtout, même lorsqu’il n’y a plus de lendemain, prédomine. Le groupe est pourtant, quoi qu’on en pense, constitué de battants et de battantes : personne ne cherche jamais à se suicider, quand bien même le contexte est atroce.
Marilyn connait ce rapport dominé/dominant, et cherche à l’expliquer à Eva lors d’un moment de lucidité alors qu’elle est aux prises avec Bobby : « Tu connais les hommes… tu sais ce qui va se passer… ce qui est en train de se passer. »
Les personnalités trop effacées, ne voulant pas le conflit, sont fatalement écrasées, finissant par en mourir. Voir le compagnon d’Eva, Sam, qui devient rapidement une des têtes de turc, littéralement rabaissé au niveau de chien par le duo des Alphas, et qui subit également le délitement de son couple. Eva sent qu’il n’est pas au niveau pour survivre dans cet univers ? Qu’il est trop gentil, tendre et conciliant, d’où la décision de son abandon final ? Très certainement.

« Les autres sont au fond ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes pour notre propre connaissance de nous-mêmes », dira Sartre en préambule à l'enregistrement phonographique de sa fameuse pièce HUIS CLOS en 1965.
Ce qui pourrait également être celui de THE DIVIDE… Et ce qu’on voit est vraiment peu reluisant. Le dernier geste de Bobby envers son « frère » Josh est lourd de signification.





UNIVERS DÉSOLÉ… UN PEU FAMILIER

Devant THE DIVIDE, on se rappelle MALEVIL (1981); même si le film de Christian de Chalonge fait sortir ses rescapés de leur abri… pour retomber dans les clivages bellicistes primaires que l’homme connait depuis ses origines.

Avec ses airs de dégât collatéral - comme si on s’intéressait à un des minuscules groupes de survivants faisant parti d’une vaste catastrophe, THE DIVIDE fait également penser aux chapitres façon « faits divers » du roman-fleuve LE FLÉAU (1978) de Stephen King.
Ces passages aussi inattendus que choquant, lorsque l'écrivain nous dépeint le sort de « figurants » de la vie courante : une vierge effarouchée, un petit garçon de 5 ans, un fervent catholique ayant perdu ses 12 enfants, etc, tous mangeant la gamelle absolument sans aucune pitié, minuscules au sein d’une tragédie d’une ampleur colossale…
Parce que c’est aussi ça, la vie, nous fait comprendre King. Le couperet tombe, sans se soucier sur qui et pourquoi. Ca tombe. Et personne n’en saura d’ailleurs jamais rien ; le cycle continue. De la même manière qu’on ne se soucie pas de la fourmi qui là, dehors, vient de se faire écraser sans raison par une chaussure. Tragédie pour elle, mais grand rien dans l’absolu.




Enfin, difficile de ne pas évoquer la bande-dessinée de Corben / Ennis, PUNISHER - LA FIN (2011), très voisine dans la cruauté, le désespoir et l’absence de concession qui l’habitent, montrant les responsables de la fin du monde, terrés comme des pleutres privilégiés dans leur bunker souterrain, être débusqués par le célèbre justicier extrémiste, en route pour son ultime mission.
Une préquelle / suite de ce goût se prêterait d’ailleurs tellement bien à THE DIVIDE, dans l’optique d’un univers étendu !


LE MIROIR

L’une des séquences les plus marquantes du film est celle où Bobby se fait tondre le crâne en plan séquence. Un moment anodin de prime abord, sur le papier… Sauf que l’excellent acteur Michael Eklund parvient à faire passer l’idée que sa dernière parcelle d'humanité se désagrège en même temps que ses cheveux tombent, appuyé par une musique des plus mélancoliques.
La suite enfonce le clou, bien entendu, lorsque le duo nuisible s’observe dans le miroir : "Look at us... We are the same." (« Regarde-nous… On est pareils »). En nous fixant bien,  nous spectateurs, directement au travers de l’objectif de la caméra.


Une scène aussi déprimante que glaçante.

THE DIVIDE fait réfléchir et met profondément mal à l'aise, implacable, impossible à contredire dans son propos nihiliste. Voir ces individus tomber toujours plus bas moralement ou physiquement (perte de dents, de cheveux) ne peut laisser indifférent. Assister au funeste destin de ceux qui étaient bons et altruistes - qui ont certes au moins la faible compensation d'avoir leur conscience pour eux, est également dévastateur. Le tout dans un endroit qui aurait du leur apporter la sérénité d'une mort retardée et apaisée, à défaut de les sauver ad vitam aeternam...

Revoir le début du film, et ainsi retrouver tous les protagonistes normaux et en bonne santé fuyant instinctivement le feu nucléaire, appuie également le sentiment désespérant de l'entreprise : nul doute que si ces personnages pouvaient voir ce qu'ils sont sur le point de devenir et de subir, ils préféreraient certainement rester périr à la surface... Y compris les abominables Josh et Bobby.




Passant à première vue pour une série B de divertissement, le film de Xavier Gens est aussi captivant que vraiment rude, un huis-clos qui agit insidieusement, infusant le moral du spectateur.

Mais se prendre ponctuellement un coup de barre à mine en plein museau, se faire dresser un miroir disgracieux mais réaliste devant soi, est toujours un mal nécessaire.


- Look at us... Look at us. We're the same.


Arthur Cauras.