lundi 30 mars 2020

TOP CINE 2010's : BLADE RUNNER 2049


BLADE RUNNER 2049

(Denis Villeneuve - 2017)




A la fois un film se suffisant à lui-même et une suite absolument magnifique, époustouflante. Villeneuve (que le maître William Friedkin estime être son successeur) applique sa patte froide et contemplative, violente et empathique sur cet univers de Science-fiction culte conçu en 1982 par Ridley Scott, d'après Philip K. Dick.

D'une richesse de tous les instants durant ses 164 minutes, d'une beauté à couper le souffle, ce languissant et dépressif BLADE RUNNER 2049 plonge ses personnages tragiques et profonds dans des décors écrasants, dans lesquels, perdus, ils sont à la recherche d'eux-mêmes.
Rixes sèches et fusillades expéditives sont le quotidien de l'agent K (Ryan Gosling) cherchant à savoir s'il ne serait pas autre chose qu'une simple réplique d'humain vouée à traquer ses pairs, les "défectueux" Nexus 6 originaux.

Villeneuve et ses scénaristes ne font pas que respecter la thématique identitaire du grand K. Dick : ils lui rendent un hommage inespéré en en ayant totalement assimilé son essence.
Sans spoiler quelque élément que ce soit du film, on dira juste que les protagonistes vivent des révélations inattendues les rendant plus attachants que jamais, faisant résonner chez nous la crainte universelle qu'on ressent tous au moins une fois, de se rendre compte au final qu'on est personne, tout à fait quelconque.

Le personnage de K finit rapidement par naviguer à vue.

BR 2049 est parcouru de personnages charismatiques, comme la petite amie de K, Joy, qui n'est autre qu'une intelligence artificielle plus rudimentaire que lui, si l'on peut dire.
Montrées comme basiques, les IA Joy sont vendues dans les rues pluvieuses par une publicité holographique colossale omniprésente, précisément sur le fait qu'elles font et disent ce dont l'acheteur a besoin.
Ce que le récit tend à nous faire vicieusement oublier pour mieux nous abattre, quand on prend le temps de réfléchir à nouveau à certains passages mettant en scène le duo ("tu es différent", "Je t'aime", la prostituée, y compris la scène de la pluie car K voit en cette émancipation celle qu'il se souhaite à plus grande échelle).

Un des coups de maître tout en subtilité du film, qu'aurait à coup-sûr applaudit K. Dick, celui de la nouvelle IMPOSTEUR et bien entendu, du roman LES ANDROÏDES RÊVENT-ILS DE MOUTONS ELECTRIQUES ?

Le travail scénaristique des personnages secondaires est de haute volée.


A côté de ça, Villeneuve nous dresse un personnage de bad-girl absolument effrayant, campé par une Sylvia Hoeks d'une crédibilité glaçante. Que ce soit à distance pour un atroce pilonnage d'infanterie, le prompt estropiement d'un garde ou de douloureux combats mano à mano, Luv nous fascine autant qu'on souhaite sa désactivation.

Le travail sonore (musique comme sound design, les deux étant ici souvent entremêlés) termine de parer la quête de K d'une ambiance métaphysique et électrisante digne des plus grands films de Science-Fiction.
Ce qu'est assurément BLADE RUNNER 2049.

- Arthur Cauras.

https://www.youtube.com/watch?v=R-AYlqYzcGc

samedi 28 mars 2020

LE TEMPS DES LUMIERES (Rennie / Harrison)

LE TEMPS DES LUMIERES
(Rennie / Harrison)


Quand tout le monde a laissé tomber l'exploration spatiale, la recherche quantique est devenue le gros truc. La Fédération Européenne espérait pouvoir piller et coloniser d'autres dimensions. Sauf que ce qu'on a récupéré, c'est un accident quantique, la Brèche.
Quand ils ont vu ce qu'il y avait de l'autre côté, ils ont tenté de la refermer, mais même l'arme nucléaire n'a pas suffi. Alors ils ont décidé d'y envoyer des gens. Des armées entières de chair à canon.
Nous passons la brèche et la seule chose à laquelle je puisse penser, c'est : "Comment puis-je hurler si fort, alors que je n'existe plus ? "



BD sortie en 2001, LE TEMPS DES LUMIERES est une des oeuvres du 9ème art les plus hards de l'époque - et encore maintenant. Rarement le concept de "chair à canon" de la guerre n'aura été aussi palpable.
Certes, les stéréotypes de films de bandes sont présents : le vétéran qui conte les secrets de la situation, le fou atteint au dernier degré, le pénitent en rédemption, etc... Mais ils fonctionnent pleine balle, tandis que le scénario de Gordon Rennie est 
prenant, brillamment rythmé et riche de références.
Rennie parvient a bâtir une sorte de "précision dans le flou scientifique" concernant la physique quantique, l'anomalie inter-dimensionnelle et de ce qu'elle a accouché... on est toujours plus secoué par ce qui nous est décrit page après page, qui est dur de chez dur, auquel s'ajoute la philosophie désespérée et résignée des anciens du lieu.

Le début nous met de suite dans le bain via un contexte géo-politique sur Terre qui ne fait pas dans la demi-mesure : la fédération Européenne (et fasciste !) est en guerre avec le "pacte Judeo-Islamique", qui fait des milliers de morts. Tout le monde mange la gamelle, mais les médias couvrent l'ensemble sous un mensonge évoquant le temps de la guerre du Vietnam.


L'une des forces du TEMPS DES LUMIERES : rendre autant incompréhensible
qu'anxiogène la nature et le mode de fonctionnement des "spectres".

Dans la Brèche, la vie vaut encore moins un clou, on y prie pour mourir plutôt de voir son corps souillé et massacré par des entités qu'on ne comprend même pas. A chaque nouveau chapitre, les descriptions d'horreur et de désespérance font chuter encore un peu plus bas le moral de cette troupe de sacrifiables, composée de violeurs, tueurs d'enfants et... opposants politiques.

Le travail graphique de Mark Harrison est stupéfiant, la tâche de dessiner l'indicible a du être particulièrement difficile : de fait, on n'arrive souvent pas à cerner le concept des Spectres, et c'est volontaire. Ils ressemblent tantôt à une forme gazeuse, tantôt organique à la THE THING, ce qui rend leurs massacres d'autant plus choquants et terrifiants... Au passage, une de ces choses est clairement un clin d'oeil au LEVIATHAN de Georges Cosmatos.
La galerie des horreurs et des entités est réellement très marquante et n'a rien perdu de sa superbe. 


Dans la Brèche, l'analogie avec un système immunitaire fait sens, et ne se soucis pas de jouer avec ses proies, comme le dit le héros à un moment-donné : "Je connaissais la terreur, la folie et la joie secrète qui vient avec le meurtre. Mais ici, même ça c'était différent. C'était bien plus primal. De la brutalité à un pur niveau de malveillance." L'objectif est d'annihiler l'intrus, ni plus ni moins, car ce territoire n'est pas le sien.


Une situation venant assez vite à bout de la raison des sacrifiables.

Le titre original, GLIMMER RATS (littéralement : "les rats lumineux") tease mieux le mélange SF / crasse que le titre français... Mais celui-ci rend l'ensemble plus dérangeant encore, car joue pleinement sur de la hard SF, là où finalement, les personnages passent leur courte vie dans la boue, les viscères et la merde, entre deux pétages de plomb de condamnés (le collier d'oreilles qui n'est pas sans rappeler le 1er UNIVERSAL SOLDIER). 
C'est un heureux croisement entre le film STARSHIP TROOPERS et le wargame WARHAMMER 40,000 - deux univers particulièrement hards !

Difficile de comprendre pourquoi cette BD est quasi-inconnue au bataillon, pourquoi personne ne la cite jamais et pour quelle raison elle n'a jamais été ré-éditée depuis ces presque 20 ans...

"Chaque jour ici est une leçon sur les différentes choses
que l'on peut faire subir au corps humain."

LE TEMPS DES LUMIERES est intense et fait autorité en matière de bande-dessinée de Science-fiction pour ados/adultes, et on peut fantasmer sur une adaptation, même d'une vingtaine de minutes... qui aurait tout à fait sa place en animé dans une série du type LOVE + DEATH + ROBOTS.


Arthur Cauras.







dimanche 22 mars 2020

DREDD



DREDD
(Phil Travis / Alex Garland - 2012)



Ce reboot du fameux comics déjà adapté via le médiocre film de 1995 avec Stallone ne fait pas dans la dentelle, tout en sachant judicieusement composer avec un budget serré pour un film de Science-Fiction.

Ainsi, ce scénario implacable dans son efficacité écrit par l'excellent Alex Garland (28 JOURS PLUS TARD, SUNSHINE à son palmarès scénar au rayon SF à l'époque) montre une société futuriste tentaculaire, ayant englobée plusieurs grandes villes US en une seule, dans laquelle les criminels sont traqués et jugés directement par les Juges.

L'un des plus fameux Juges, Dredd, est envoyé en mission dans un gigantesque building de 200 étages et plusieurs km de haut, QG des revendeurs d'une nouvelle drogue. La boss du gang, Ma-Ma, montre très vite qu'elle ne blague pas des masses, et enclenche le processus martial qui fait se verrouiller le bâtiment.
Affublé d'Anderson, une nouvelle recrue à former qui a des dons de télépathe, Dredd se retrouve pris au piège face à des centaines de malfrats armés jusqu'aux dents. La boucherie peut commencer...

Contrairement à ce que disent les crédits de DREDD, ce n'est pas Phil Travis mais bien Alex Garland, également producteur, qui a réalisé cette nouvelle adaptation. Karl Urban a confirmé il y a 1 an que Travis n'avait été crédité que pour raisons juridiques.


L'équipe de DREDD a généreusement dépensé chacun des dollars à l'écran. 

A l'occasion de son 1er film officieux en tant que réalisateur, cet artiste multi-casquettes (romancier, scénariste cinéma, TV et jeux vidéos, et donc réalisateur) nous confectionne une véritable pépite d'actionner, comme rarement on peut voir, où un concept simple ne sombre pourtant jamais dans le simplisme, étayant son univers et l'arc narratif de ses personnages tout au long du déroulement de l'histoire.

Façonner des protagonistes juste ce qu'il faut au gré d'un récit dans l'urgence : on côtoie un mode de fonctionnement proche des scénarios béton d'ALIEN ou encore TERMINATOR.

Finalement, on ne saura rien de Dredd (Karl Urban réussissant, quelque part, à jouer seulement avec sa bouche!). Finalement, on ne saura que 2 petites choses d'Anderson. Finalement, on ne saura qu'un élément du passé de Ma-Ma. Et pourtant, tous ces personnages vivent, fonctionnent, et sont attachants.
Dredd est véritablement une incarnation de la justice, absolument inébranlable, la machine avec un grand M, qui avance en bélier, ne connait pas la peur... Tous les personnages secondaires sont traités de la sorte, sans fioriture (les 4 autres Juges, les petites frappes, la mère dans son appart, etc).
Et tout ça, sans tomber dans la beauferie. Assez intéressant comme cas d'école, d'ailleurs.

Garland, malin, sachant autant ce que veut un amateur de SF qu'un amateur d'actionner, élève l'action via des idées originales dans un milieu de bourrinage avéré comme celui d'une adaptation DREDD, dont les plus intéressantes sont la drogue Slo-mo et les visions télépathiques de sa partenaire.

Anderson peut donc lire dans les pensées, ce qui fait régulièrement avancer l'histoire sans user de Deus Ex Machina (travers scénaristique du "comme par hasard ça se débloque maintenant"), mais aussi créer des moments amusants (l'ascenseur) et donner vie aux fantasmes d'un sale type, pour mieux les retourner contre lui.

La Slo-mo est donc la drogue du moment, faisant défiler le temps 100 fois moins vite pour le consommateur... Vicieux, Garland nous place donc régulièrement du point de vue des drogués, le temps de séquences gores et spectaculaires en extrême ralenti, que ce soit des chutes sans fin, des perforations de balles ou des concassages de faciès qu'on aurait du mal à voir dans des films de studio. Des passages non dénués d'une dose de poésie : les couleurs se saturent, l'image chatoyante se sur-expose et scintille comme dans un rêve, avant que le montage ne retourne à une vitesse normale, soulignant la violence des gunfights.
Macabrement fascinant !

Le concept de la drogue Slo-Mo permet de beaux moments "onirico-glauques".

Dans DREDD, la sensation d'urgence ne faiblit pas, sans non plus nous bassiner, on parcourt captivés ce monde à huis-clos, témoins de la violence des Juges pour parvenir à leurs fins (déboitage de gorge, incinération, coups de feu dans le pied, les multiples types de munitions) et aussi, on s'abstient de l'avalanche de punchlines (Dieu merci) !
Tout ça au sein d'une Direction Artistique aux petits oignons réussissant là-encore la synthèse et l'efficacité, très loin d'être cheap.

DREDD fera peut-être penser à THE RAID qui part du même concept. Normal, puisqu'il paraît que son réalisateur aura lu le scénario du 1er quelques années en amont...

Dégraissé jusqu'à l'os, bien rodé et efficace, le film de Garland est passé inaperçu en salles US et nous est donc arrivé directement en vidéo...

Très injuste pour l'un des meilleurs films d'action / anticipation de cette dernière décennie !


Arthur Cauras.


https://www.youtube.com/watch?v=bCkEA-IeT8k