mercredi 22 novembre 2023

L'EXORCISTE SELON WILLIAM FRIEDKIN (Alexandre O. Philippe - 2019)



L'EXORCISTE SELON WILLIAM FRIEDKIN
(Alexandre O. Philippe - 2019)

A la base, le réalisateur suisse de documentaires Alexandre O. Phillipe veut que Friedkin fasse partie des intervenants de son 78/52 qui parle de PSYCHOSE. Mais le mail envoyé déplait à Friedkin qui se braque. Les 2 hommes se croisent ensuite à plusieurs reprises, le courant semble à nouveau pouvoir passer, et alors que Philippe veut proposer à Billy de faire partie du docu MEMORY sur ALIEN, ce dernier l’oriente sur L’EXORCISTE. Friedkin explique à Philippe qu’il a en effet des archives et des anecdotes jamais montrées ni racontées au grand public…
Tout ce travail, et toute cette entente en symbiose donneront donc ce très intéressant LEAP OF FAITH. Pour qui n’aura pas lu les mémoires THE FRIEDKIN CONNECTION, on peut même dire « captivant », car Billy y cite forcément certains éléments bien connus en rapport à la fabrication de ce chef d’oeuvre intemporel : le casting de Mercedes McCambridge pour la voix de Reagan possédée (performance pour laquelle elle devra replonger dans l’alcool et la cigarette sous la vigilance de 2 prêtres, en plus de manger des oeufs crus !), l’éviction d’un Stacy Keach déjà signé au profit d’un Jason Miller inconnu au cinéma; ou encore la nécessité de la scène d’ouverture en Irak que personne ne comprenait.


Le documentaire se regarde d’une traite, pourtant il n’y a d’autres intervenants que William Friedkin lui-même (Philippe dira avoir résisté à la tentation d’aller interviewer Linda Blair et Max von Sidow comme lui proposait Friedkin), mais le rythme, le montage et les très généreuses illustrations rendent le tout extrêmement fluide. On y voit de nombreuses photos et axes inédits, et tous les films cités par Friedkin sont présents, de CITIZEN KANE au TRESOR DE LA SIERRA MADRE en passant par les films avec la-dite Mercedes McCambridge ou 2001, L’ODYSSEE DE L’ESPACE. Sans compter les siens !
Au niveau musical, Friedkin raconte comment il a rembarré l’éminent Bernard Herrmann (qui lui avait dit de dégager la scène d’ouverture), puis a brisé son amitié avec Lalo Schifrin qui étouffait cette même scène en Irak d’une musique trop envahissante, avant de tomber, après avoir écouté une centaine de musique, sur les fameuses Tubular bells de Mike Oldfield.
Friedkin raconte aussi les débats et situations parfois tendues avec l’écrivain Peter Blatty, qui avait proposé de lui donner toutes ses parts s’il obtenait le rôle de Karras ! Toutefois, c’est leur inextricable rapport vis-à-vis de leurs mères respectives qui les a soudé autour du projet.


Friedkin nous fait l’aveux que L’EXORCISTE contient l’unique scène de sa filmographie qu’il ait réalisé sans la comprendre tout à fait: il s’agit de la fin, lorsque Karras est investi de l’esprit maléfique et se jette par la fenêtre. A l’époque, il voulait qu’il se défenestre en gardant les traits possédés par Pazuzu, Blatty le convaincra que le prêtre le fasse après avoir repris ses esprits, en pleine conscience. Même ainsi, Friedkin dit ne pas encore comprendre ce qu’on doit tirer de cette séquence. Ca va d’ailleurs dans son sens, lui qui aime créer des situations et des films portant le spectateur à s’interroger, à la controverse.
Par rapport à ce que je dis souvent, à nouveau, aucune mention faite de cette thématique récurrente de la pulsion de mort, du suicide, dans la filmographie de William Friedkin. Mais sans prévenir, le cinéaste de Chicago se lance dans une description des jardins zen japonais, où les pierres parfaitement placées dans la mer de sable lui avaient évoqué les continents incapables de se rencontrer, puis… les humains. Et d’avoir les larmes aux yeux en le disant. Moment aussi inattendu que touchant… on s’est rapproché du sujet.

Au final, reste un documentaire prenant du début à la fin, Friedkin avait vraiment un talent de conteur hors-pairs, sans aucun déchet dans ses phrases.
Et on reste, en tout cas moi, maintenant forts maussades de savoir que se régaler de ses nouvelles interventions, de ses anecdotes, de son humour, de sa sincérité absolue, et bien tout ça, c’est maintenant bel et bien terminé.

- Arthur Cauras.




mardi 14 novembre 2023

LA NURSE (William Friedkin - 1990)




LA NURSE
(William Friedkin - 1990)


En 1990, William Friedkin est au bout du rouleau. Commercialement, il enchaîne échec sur échec, notamment celui de son pourtant excellent SANG DU CHATIMENT, carrément bloqué pour problème de droits. Il ne cesse de se remettre en question, doute, et ne sait pas comment remonter la pente d’autant qu’on ne lui propose plus de projets. Le pire qui puisse arriver à un réalisateur…
Un jour, son ancien agent devenu producteur lui apporte le script THE NANNY (d’après le livre de Greenburg) et Billy le trouve faible, notamment pour son style comics-horreur. C’est en effet à la base un projet destiné à Sam Raimi. Mais le script ne plaît pas à grand monde, et même si c’est une comédie d’horreur orientée pour lui, Raimi part finalement sur DARKMAN

William Friedkin sur le tournage de LA NURSE

Toutefois, Friedkin veut faire un retour d’ascenseur à cet agent qui l’a beaucoup aidé à ses débuts, notamment en le plaçant sur l’épisode de la fameuse série ALFRED HITCHOCK PRESENTE.
Friedkin cherche une accroche pour se rattacher au projet, et se souvient d’une anecdote assez sinistre, durant laquelle il avait laissé à une nounou la garde de son bébé le temps d’un week-end. Lorsqu’il était revenu, il l’avait trouvée en pleurs; elle s’était faite volée ses papiers et son argent, et a fini par lui avouer qu’avec une amie à elle, elle avait couché avec deux hommes dans le lit-même de Friedkin, alors que le bébé dormait à côté ! Cette anecdote d’une « nounou de l’enfer » a donc infusé dans le projet, et il a fait changer le titre original en THE GUARDIAN.
Pendant un temps, il est question de retirer tout élément fantastique du projet, notamment sous l’impulsion de l’actrice jouant la nurse, Jenny Seagrove, mais le studio refuse car veut pouvoir associer le nom de Friedkin à un film d’horreur, pour essayer de réactiver le phénomène L’EXORCISTE. Les producteurs s'en mordront les doigts plus tard devant le carton de LA MAIN SUR LE BERCEAU (Curtis Hanson, 1992).
En attendant, il est prévu de faire de LA NURSE un conte de Grimm contemporain, avec toute la noirceur et la méchanceté nécessaires.


Pour la première fois de sa carrière, Friedkin va travailler en grande partie en studio - lui qui a toujours préféré les décors réels et les extérieurs. Jusque dans la salle d’accouchement, plongée dans un noir profond. Cela joue plutôt en faveur de l’aspect « conte » du film, et l’expérience acquise sur l’enfer de SORCERER lui permet de rendre la nature inquiétante et oppressante, dont les végétaux sont balayés de bourrasques surnaturelles.
Comme dans beaucoup de ses projets, William Friedkin va aller chercher certains de ses comédiens sur les planches, en représentation au théâtre, et chacun livre une belle performance. On se rappelle de l’interprète du père Karras, Jason Miller, qui n’avait jamais joué dans un film avec L’EXORCISTE, idem pour William Petersen sur TO LIVE AND DIE IN L.A.
Sur le tournage, il reste fidèle à lui-même : aimant la spontanéité, laissant la caméra continuer à tourner pour voir si les acteurs proposent quelque chose d’intéressant durant ce flottement… et tirant un coup de feu à blanc de l’autre côté d’une feuille de décor pour obtenir ce qu’il cherchait d'une actrice ! Dans le making of, on le voit hurler face à elle, hors champ, pour la terrifier. Friedkin a toujours été ce mélange de génie et de sale gosse s’amusant pour obtenir ce qu’il cherchait…


L’interprète de la Nurse, Jenny Seagrove, a raconté qu’on disait de Friedkin qu'il était en dépression, mais il ne montrait rien. C’est au moins la 2eme fois qu’il en sera fait mention dans la carrière du cinéaste, et c’est d’ailleurs une thématique jamais mise en avant dans les différents articles ou livres qui lui sont consacrés… ses personnages sont régulièrement frappés de dépression, de pulsion de mort qui les amène parfois jusqu’au suicide.
C’est présent très tôt ; L'EXORCISTE (le père Karas), POLICE FEDERALE L.A (Chance via par ex le saut en élastique et la poursuite à contre-sens, mais aussi le personnage de Masters), RAMPAGE (1er montage), SORCERER (la rédemption des protagonistes est aussi avant tout une errance abyssale, et Friedkin refuse d'en soulager le héros à la fin), THE HUNTED (le soldat Hallam), ou même un film comme JADE laissant au final le personnage-titre au plus mal dans sa peau, dans un enfer mental pire que ce qu'elle vivait jusqu'à présent (fuir une routine mortellement rébarbative)... BUG en est peut-être l'acmé, car amène 2 êtres en déperdition jusqu'à un final on ne peut plus démoralisant (on rappelle qu'à la base, ce sont des victimes de la dureté de la vie et qu'ils n'ont rien fait de mal).
Friedkin ne travaille hélas toutefois rien de semblable dans LA NURSE, proposant des personnages très creux, archétypes du cinéma d’horreur du dessous de la moyenne, et à l'opposé de ce qui fait l'un des attraits principaux de son oeuvre globale. Pas de nuance, pas de protagoniste timoré et déchiré entre le bien et le mal.


Malheureusement, LA NURSE pâti aussi des ré-écritures ayant eu lieu lors du tournage (Volk ayant fait un burn-out, c’est Friedkin qui s’y collait en plus du reste). On a souvent des difficultés à gober certaines réactions et situations tirant le film dans le registre de la petite série B. Notamment le fait que la Nurse soit forcée d’officier dans un secteur restreint entourant l’arbre maléfique… les bébés disparaissant régulièrement, on ne voit pas comment cette entreprise peut finir, et on comprend mal ce que la Nurse en retire pour elle. L’assaut final du père à coups de tronçonneuse sur l’arbre maléfique évoque EVIL DEAD 2, certainement un reliquat du premier scénario prévu pour Sam Raimi, écartelant le film entre deux courants dont celui grandiloquent ne jouant pas en sa faveur.
Pas évident non plus de croire dans la crédibilité de cette scène où des petites frappes deviennent vite ultra violentes de façon caricaturale, face à la nurse et à un nourrisson, sans raison… la mort de la 1ere nounou sélectionnée n'a également aucune explication en rapport avec la mythologie du film. Certains effets stylistiques, notamment les apparitions au cut d'éléments censément stressants, fonctionnent là-aussi péniblement.

Friedkin a toujours dit qu’il voyait ses films comme ses enfants; impossible d’en dire du mal… LA NURSE est toutefois l’exception confirmant sa règle : "La Nurse n’est pas un bon film, je ne l’aime pas. Je l’ai tourné pour un ami producteur, je n’avais pas d’autre projet en vue à l’époque, donc j’ai dit oui, et j’ai échoué. C’est tout ce que je peux vous dire."


Il n’en reste pas moins que certains moments de flippe (la Nurse sous son aspect « végétalisé » traquant la mère et son nourrisson), et de bravoure fonctionnent très bien et sont spectaculaires, notamment le massacre des petites frappes tombant dans le traquenard fatal de l’arbre. La meilleure séquence du film restant celle, étalée sur une bonne dizaine de minutes, concernant l’ami architecte cherchant à raccompagner la Nurse de laquelle il est tombé amoureux. Il finit par la suivrede nuit dans les bois, avant de découvrir sa véritable nature, finissant par fuir chez lui, le tout en faux-rythme, avec de longs moments de tension, les coyotes rodants, visibles par les grandes fenêtres de sa villa… Friedkin démontre ici qu'il n’a rien perdu de sa science du montage et du découpage.
Il parvient régulièrement à diffuser une atmosphère dérangeante, troublante, par le biais d’une scène de rêve comme il en a le secret, et en jouant sur l’apparence de la Nurse qui est séduisante mais peut avoir des expressions inquiétantes… mises en avant par de très beaux plans contrastés, des clairs/obscurs tranchants d’ailleurs avec ce qu’il fait depuis ses débuts.


LA NURSE n’est pas le film de la honte, le problème étant qu’il émane d’un cinéaste de génie, dont on attendait forcément beaucoup. Il était malheureusement très amoindri à cette époque, et cela allait durer encore quelques années avant le très bon JADE.

- Arthur Cauras.