dimanche 7 mai 2023

CONQUEST (Lucio Fulci - 1983)



CONQUEST
(Lucio Fulci - 1983)

Film mal-aimé du maître italien de l'horreur, ce CONQUEST est sa seule incartade dans le domaine de l'Heroic Fantasy. Malheureusement pour lui, il partira avec des moyens trop limités pour mettre correctement en scène sa vision de ce monde parallèle, ce qui fait parfois pencher CONQUEST vers le Z plutôt que le B. En tout cas, on est bien dans le cinéma d'exploitation italien de la belle époque, et Fulci parvient tout de même à faire opérer la magie qui est la sienne.


Peut-être pas la magie de ZOMBI 2 ou du VENIN DE LA PEUR, mais une magie certaine qui hypnotise et captive en mélangeant à bonne dose photographie / scénographie / musique et idées atypiques. Comme lorsque le duo de héros fuit et que le plus jeune prend une flèche dans la jambe, qui la fait puruler -- forcément, on est chez Fulci ! Le protagoniste part en quête d'herbes, et tandis que des fourmis investissent le corps de son ami dans le coma, il tombe dans un traquenard près d'un marais : des zombies aquatiques sortent de l'eau et l'agressent. La musique de Claudio Simonetti (des Gobelins!) se lance durant la rixe à mort, les zooms et dézooms opèrent, les détails macabres en ajoutent à la patte fulciesque, et on est régalés.

Plus tard, l'un des protagonistes meurt décapité par la sorcière. Le héros rend hommage à son corps, avant de se lancer dans un rituel assez dérangeant : immoler son cadavre, le regarder saigner et se désagréger, avant de se oindre le visage de ses cendres encore fumantes afin d'avoir la force de combattre les forces obscures...

Ce passage hautement mélancolique place CONQUEST, qu'on aime ou pas, parmi les oeuvres personnelles de son auteur. 


D'ailleurs, le plan final assez banal dans l'imagerie du Western et de l'Heroic Fantasy prend un tout autre sens sous chez Lucio Fulci : le héros, à la base misanthrope (son tatouage frontal "Tout homme est mon ennemi"), repart après avoir perdu son nouvel ami, et surtout totalement seul et sans rien avoir gagné dans l'aventure. Fulci avait en effet un attrait pour la mélancolie et avait vécu la profonde dépression de sa femme pendant des années de très près, avant son suicide.

CONQUEST a bien et bien l'âme de son auteur, et c'est sans compter d'autres thématiques récurrentes de sa filmographie comme la présence de rêves, de rupture violente d'un moment poétique (le jeune charmé par la troglodyte qui se fait éclater le crâne tandis qu'il ferme les yeux, s'attendant à un baiser), et plus que jamais une atmosphère onirique du début à la fin du film.
En effet, pour palier au manque d'argent, Fulci et son chef op Alejandro Ulloa (qui retravaillera sur le très bon LE MIEL DU DIABLE) filment à contre-jour, jouent avec les flairs et le silhouettage, sans oublier d'envoyer la machine à fumée pleine balle sur tous les plans.


Comme dans beaucoup de Fulci horrifiques, les acteurs sont souvent aux fraises, mais quand on regarde CONQUEST sous le prisme d'un rêve éveillé - ce qu'il convient de faire avec toute sa filmographie, ça joue en faveur du film.

Certains des fans du grand Richard Corben, dont je fais parti, pourront voir dans certaines idées et personnages des références à son héros emblématique: Den. Particulièrement dans LA SAGA DE DEN (notamment les hommes loups, les charniers, le gore mélangé à l'action, etc).

CONQUEST ne plaira pas à tout le monde, mais en hypnotisera certains à coup sûr, son statut unique à ma connaissance de film gore d'Heroic Fantasy faisant son petit effet. Il fait clairement partie du top 10 de ce qu'a pu produire Lucio Fulci, me concernant.

- Arthur Cauras.