samedi 1 août 2020

LES NUITS FAUVES (Cyril Collard - 1992)

LES NUITS FAUVES
Cyril Collard - 1992





En pleine ère du SIDA, LES NUITS FAUVES était recommandé dans les lycées et les collèges (conjointement avec une BD intitulée "Jo"). Je l'ai personnellement vu très tôt, à mes 11-12 ans, ça a été d'autant plus marquant. Comme chacun sait, le film est tiré d'un livre, écrit par le réalisateur lui-même, et très fortement inspiré de sa vie. Collard a finit par jouer le rôle principal ; personne en France n'avait les épaules pour. Ce qui appuie davantage le côté fataliste des NUITS FAUVES.

Cyril Collard joue le rôle d'un chef opérateur assez oisif, bisexuel, qui traîne dans des endroits assez extrêmes de la capitale, brûlant la vie par les deux bouts. Il rencontre une jeune femme de 17 ans plutôt romantique, qui n'est pas dans cette recherche de l'accélération, même si elle est présenté comme étant loin d'être prude. On va assister à ce que ça va changer dans la vie nocturne de ce personnage qui ne sait pas aimer.

En tant que spectateur, voir ce jeune type de 30 ans se mouvoir à l'écran, en se rappelant constamment que ça raconte une bonne partie de sa vie, que Collard tournait le film dans le mal (passages réguliers à l'hôpital), et qu'il allait mourir 3 mois après la sortie du film, tout cela crée une véritable atmosphère mélancolique, d'autant que LES NUITS FAUVES est tourné façon Nouvelle-Vague, avec force caméra-épaule et cuts grossiers au montage. L'impression d'une réalité capturée à l'arrache -- ce qui était en partie vrai.
Un des points forts du film est l'apparente sincérité qui en découle, et son absence de jugement. Sincérité dans le propos : on parle quand-même d'un homme bisexuel sidaïque qui ne peut s'empêcher d'aller dans les backrooms, et de s'amouracher d'une jeune de 17 ans, copulant sans protection. Absence de jugement parce que tout nous est montré ; on sent que Collard veut présenter une réalité -- la sienne, et se fout de ce qu'on va en penser. Il a juste le besoin d'en parler, de montrer au grand jour cette pulsion de vivre ainsi ; à nous de nous démerder ensuite avec ça. 
Certaines scènes évoquent le CRUISING de William Friedkin (1980), tandis que son personnage fait également penser au MIEL DU DIABLE de Lucio Fulci (1986); il ne serait pas étonnant d'apprendre que Collard connaissait ces films et que peut-être, ça l'ait aidé à gagner la confiance de filmer ses scènes aussi extrêmes et peu courantes. Le personnage de Collard vit à 200 à l'heure. Le film est fort en ce sens qu'il montre que la frontière paraît ténue, entre vivre une vie à 200 à l'heure, et fuir en avant pour ne pas vouloir faire face à ses problèmes.


Certains passages vont vraiment loin ; suivant ses envies subites de "plaisir immédiat", qui ne correspondent pas aux "hiérarchies de la surface", il va donc forniquer à l'arrache sous des ponts crasseux, des tunnels, avec d'autres mecs, plus tard il demande carrément à se faire pisser dessus tandis qu'un type le masturbe au sol sur les quais de Seine... En n'omettant toutefois pas de montrer que tous ces gens perdus (ou qui se sont retrouvés, selon le point de vue), ont une affection les uns pour les autres, aussi mesurée soit-elle. C'est qu'à cette époque, l'homosexualité était marginalisée (il n'y avait pas de bars gays par ex) et forcément ça ne pouvait que créer davantage de liens entre eux. 
Et tout ça donc, avec en parallèle la petite jeune jouée par Romane Bohringer, qui n'en peut plus de souffrir du fait qu'il la trompe avec tout ce qui passe à portée de radar. Fatalement, on a l'impression qu'il se questionne sur ce qui ne tourne pas rond chez lui, ce qui le pousse à agir de la sorte : il en souffre psychologiquement et moralement, et du fait que ça l'ait amené à cette maladie qui le tuera.

Il ne nous épargne pas la rencontre avec ses parents, et le malaise de leur dîner piteux où personne ne se parle ; ça pue la mort, ou plutôt le vide. On ne sait pas si ça a toujours été comme ça, ou seulement depuis que ses paternels ont appris qu'il était séropositif. Dans tous les cas, on peut extrapoler sur l'origine de cette volonté de vivre en se brûlant les ailes.

C'est d'autant plus tragique que Cyril Collard traîne une forme de candeur, de sympathique qui le rendent attachant. Forcément, pour le spectateur, tout se mélange entre la fiction et le passé de l'auteur-interprète, lui qui avait une vie toute tracée (maths spé, maths sup, deug de maths), et qui a décidé de bifurquer vers l'art (écriture, audiovisuel), s'autorisant tous les fantasmes, clamant sa bisexualité, tout ceci devenant une chape de plomb lorsqu'il est révélé séropositif, Collard disant en interview qu'il avait ressenti de la culpabilité (venant selon lui de son éducation judéo-chrétienne).
Et donc, le fait qu'il couche à plusieurs reprises avec une mineure de 17 ans, sans lui parler de sa maladie létale. Il laissera entendre que la pureté qu'elle dégage à ses yeux lui donnait l'impression de ne pas pouvoir la souiller, et au contraire qu'elle ait la vertu de le laver de ses travers.


Ce qui ressort de LES NUITS FAUVES, et c'est peut-être simpliste à dire, mais c'est le sentiment que Collard soit parvenu a attraper un bout de vie dans une bouteille, et qu'on est face à tout ça. Il a attrapé le bon, le mal, et tout simplement le spectre intégral de la Vie, une certaine idée d'une jeunesse sans lendemain, et c'est à nous de nous faire notre jugement -- si toutefois on trouve que c'est nécessaire. On en ressort ému, brassé, mais aussi ragaillardi. Comme le disait feu Guillaume Depardieu : "LES NUITS FAUVES, ce n'est pas un film pour les fonctionnaires de la vie".


- Arthur Cauras.

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