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lundi 2 janvier 2023

TOMIE (Junji Ito, manga 1987)


TOMIE
(manga de Junji Ito
1987 > 2000)

Clairement dans ce qu'on peut lire de plus fort en terme de BD, tous écoles confondues.

Un manga vicieux, où une jeune femme aux origines mystérieuses et au charme irrésistible, Tomié, apparait à chaque nouveau chapitre (pouvant être vus comme des nouvelles) pour détruire psychologiquement les hommes qu'elle va chercher.
Tomié use de tout son charme et de toutes les manipulations possibles et imaginables pour arriver à ses fins; la séduction, la détresse, l'injustice...
Elle veut être la plus belle, se sentir désirée à tout prix, et rend jaloux les uns des autres au point de les rendre fous... jusqu'à ce qu'ils la massacre ! Sans exception. Sauf qu'à chaque nouveau chapitre, Tomié ré-apparait comme si de rien n'était... car à la manière de THE THING (John Carpenter - 1982), chaque morceau de cette créature engendre un nouveau elle-même (qui comble de l’égo et du narcissisme, déteste ses "clones" et fait tout pour les faire tuer afin d'être la seule et unique à être adorée).


Cela va très loin dans la représentation de la torture psychologique, dans la descente vers la folie, dans la cassure de l'estime de soi, dans la manipulation, dans la jalousie maladive, et ça créé aussi un autre malaise au niveau de la violence avec laquelle les gens finissent par tuer Tomié; c'est tellement hard qu'on a régulièrement peine à trouver ça réellement libérateur... En sachant de plus que ça n'arrête rien mais que ça empire les choses !

Parallèlement à ça, Junji Ito produit des planches proprement terrifiantes où Tomié montre son vrai "visage", une véritable engeance répugnante faisant faire la moue à la lecture, évoquant parfois les visions d'horreur des Cronenberg ou encore les entités damnés du jeu SILENT HILL. On grimace autant que face aux expressions de folie furieuse, aux regards totalement perdus et à la déchéance des personnages étant à son contact.

Le manga n'est pas dénué d'un humour noir certain, comme lors de ce massacre opéré par une classe entière sur Tomié, durant lequel le professeur (à l'origine du lynchage!) commence à expliquer aux élèves eux-aussi aliénés le nom et la fonction de tous les organes internes qu'il sort du cadavre fumant de la créature !


Ces 750 pages sont parfaites, que ce soit dans la narration et dans le trait / découpage / rythme tenus par Ito, mais forcément certains chapitres / nouvelles sortent encore plus du lot... notamment cette histoire où Tomié vient mettre le chaos dans une demeure cossue où de vieilles personnes désespèrent d'adopter une fille... cette autre histoire où Tomié détricote le lien entre une mère aimante et son jeune fils... ou encore ce moment où l’un de ses "restes" en germe, ressemblant vaguement à un nourrisson, a hypnotisé un couple s'évertuant à faire cesser de pleurer cette ignominie de la seule manière possible : en déclenchant des incendies dans le voisinage, le son des sirènes et des flammes l'amusant.

Mais le pinacle est atteint, en ce qui me concerne, par le chapitre "Auriculaire", torture morale ultime où Tomié est pour une fois en échec face à un homme : un garçon au physique particulièrement disgracieux qui a trop souffert des brimades, et qui ne croit pas au pseudo intérêt que l'impérieuse créature lui porte. Un joyau de noirceur. Les 3 chapitres finaux valant eux aussi leur pesant de désespérance...



Ce pavé se lit intégralement avec frénésie, car au fil des pages, ce sont les années qui ont défilées pour l'auteur Junji Ito (13 ans précisément), qui a progressivement défini cette succube malsaine et les règles mythologiques qui vont avec.

Un chef d'oeuvre du domaine fantastique / horreur tout support confondu, ni plus ni moins.

A noter que la ré-édition de chez Mangetsu (intégrale) comporte entre autre une très intéressante préface du réalisateur Alexandre Aja (HAUTE TENSION, MIRRORS), disant qu'il rêve de l'adapter au cinéma, et où il explique voir Tomié avant tout comme une victime de la toxicité masculine.


- Arthur Cauras.

vendredi 19 mars 2021

NINJA SCROLL (animé de Yoshiaki Kawajiri, 1993)



NINJA SCROLL
(Yoshiaki Kawajiri, 1993)


Alors qu'un village du Japon féodal est ravagé par la peste, l'un des 8 démons de Kimon massacre une unité de ninjas envoyée pour enquêter. Ne reste que la vaillante Kagero, que le démon est en train d'abuser lorsque le sabreur Jubei intervient. Il se rend compte rapidement que derrière ces exactions se cachent Genma, son pire ennemi, qui aspire à contrôler le pays...

Pour savoir ce qu'est un véritable animé de fou furieux, il faut voir ce NINJA SCROLL, proprement incroyable. Le dernier Chambara (film de sabre japonais), mais aussi le dernier Wu Xia Pian (film de sabre chinois), mille idées à la minute, des personnages originaux et travaillés, du sexe, du gore, la mythologie fantastique du Japon féodal battant son plein.
Le héros est un épéiste expert en Iaïdo (l'art de dégainer), qui fait équipe avec un vieil homme dont la technique consiste à se fondre dans la nature tel un caméléon humain ("intéressant" dira t'il en voyant de loin celle d'un adversaire consistant à se fondre dans les ombres !) et une magnifique jeune femme dont le secret est... d'être vénéneuse ! Lors d'une scène très malaisante, un démon la viole, ignorant qu'il sera mortellement empoisonné.

Avec les personnages de NINJA SCROLL, Kawajiri va au bout
du concept de la dissimulation et du faux-semblant propres
à ces guerriers d'antan.

Face à eux, de multiples adversaires tous plus tordus les uns que les autres : une ninja façon femme fatale dont la spécialité est de piéger ses victimes, dans le sens premier du terme : en leur cousant dans le corps des explosifs et autres bombes ! Un vicieux qui entoure de ses fils invisibles ses proies pour jouer au marionnettiste, un visage géant composé de serpents, ou encore un bossu dont la bosse contient une ruche d'abeilles !... Et on pourrait en décrire comme ça encore des lignes et des lignes.

Kawajiri, véritable génie, découpe ses scènes d'action comme rarement on pouvait le voir à l'époque (et depuis -- même s'il a fait des émules notamment via Guillermo del Toro), accélérant le rythme tout au long de son animé.

Dans une séquence aussi touchante que malsaine,
Kagero retrouve un compagnon d'armes disparu...
horriblement transformé par le clan adverse.

Cette maestria, cet univers où tout est possible (les protagonistes font des bonds de 10 mètres, combattent dans les airs, etc), cette histoire d'amour impossible et très belle entre le héros et sa compagne vénéneuse, cette vengeance viscérale... Ce sont quelques uns des nombreux atouts majeurs du colossal NINJA SCROLL.

Kawajiri (père d'animés Cyberpunks bien salés comme WICKED CITY, CYBER CITY, DEMON CITY, réalisateur de l'adaptation MIGNIGHT EYE GOKU...), a marqué son époque : des visionnaires comme lui manquent clairement dans l'univers des animés contemporains.

- Arthur Cauras.