mardi 23 mars 2021

S. CRAIG ZAHLER : Bone Tomahawk / Section 99 / Traîné sur le Bitume

BONE TOMAHAWK (2015)
SECTION 99 (2017)
TRAINE SUR LE BITUME (2018)
de S. Craig Zahler




La filmo de S. Craig Zahler, composée de 3 films, est un sans-faute assez stupéfiant... Le tout en moins de 5 ans, s'il-vous-plaît.

Il commence avec BONE TOMAHAWK, qui avait fait son effet à Sitges en 2015... La majorité des français que je croisais l'ayant vu le trouvaient très mauvais. Vraiment étrange; pour ma part j'ai rarement vu un western / film d'horreur aussi percutant, qui arrive à nous glisser de force dans une atmosphère oppressante, progressive (la scène du campement de nuit !) et inextricable (dans le territoire des cannibales). Déjà, Zahler montre qu'il sait parfaitement jouer avec les codes et mécanismes de la peur, comment retenir l'intérêt de son spectateur : personne, absolument personne n'est intouchable, dans ce film. Les personnages qui d'ordinaire s'en sortiraient, au moins pas trop mal, finissent déchirés en deux ou une flèche dans le crâne.

Epoque du Far-west, une petite bourgade est la cible d'une attaque nocturne aussi fugace que violente, par ce qui semble être des indiens venus se venger d'un criminel vagabond ayant pénétré leur territoire quelques jours auparavant. Celui-ci est enlevé, ainsi que plusieurs citoyens. Un périple s'ouvre, avec le Shérif (Kurt Russel), son adjoint du troisième âge, un pistolero nerveux antipathique et le mari estropié d'une des victimes, bien décidés à retrouver leurs amis.

Les attaques de Troglodytes ne prêtent vraiment pas à rire.

Le mélange des genres bat son plein, un mélange ne pouvant qu'évoquer au moins un peu l'excellent VORACE, mais on est ici au premier degré, dénué de l'humour du film d'Antonia Bird.

La tension est omniprésente et autant on a hâte que notre petite troupe arrive enfin en territoire ennemi pour se mettre à l'abri des menaces de la vie au plein, autant une fois qu'ils y sont parvenus, on a hâte qu'ils en foutent le camp au plus vite. On craint ces "indiens" on ne peut plus malsains. L'un des derniers plans (la place réservée aux femmes enceintes dans cette culture ultra barbare) nous rappelle une dernière fois combien Zahler ne plaisante pas et veut brasser sans relâche son audience.

En cela, il y a du Stephen King dans la manière de chambouler les idées reçues sur des situations, des contextes et des personnages ultra-balisés dans l'esprit collectif. BONE TOMAHAWK n'est pas sans défauts : on peut par exemple trouver étrange le choix d'abandonner un personnage-clé à la fin, déjà humainement, mais aussi parce que rien ne prouve qu'il sera apte à accomplir sa tâche.
Mais ceux-ci sont véritablement minimes au regard de l'ensemble du travail de S. Craig Zahler... Son premier film, on le rappelle !



Après le tour de force BONE TOMAHAWK, Zahler revient tranquillement en 2017 avec SECTION 99 (BRAWL IN CELL BLOCK 99) qui pose une nouvelle pierre à son cinéma balbutiant mais déjà maîtrisé : celle du rythme. Car Zahler n'est pas intéressé par les montages syncopés, souvent synonymes de cache-misère en matière de mise en scène. Ici, ses plans sont posés, durent, racontent quelque chose et permettent de rendre palpable le quotidien routinier des personnages. Dans ce film, Zahler continue à se constituer également un petit cercle d'acteurs très solides (Fred Melamed, Jennifer Carpenter, Don Johnson... et bien entendu Vince Vaughn).

SECTION 99 est totalement à part dans la production U.S -- même indépendante, il montre une violence poussive, outrancière et appuyée qui semble tout droit sortie d'un film de Hong Kong de Catégorie 3 ! Son histoire se déroulant en grande partie en prison rappelle d'ailleurs souvent le cultissime RIKI-OH : THE STORY OF RICKY qui était adapté d'un manga, lorgnant vers une sorte de KEN LE SURVIVANT fait avec peu de moyens, certes, mais d'une générosité putassière sans pareil.

L'histoire de ce boxeur déchu tombant toujours plus bas, se mettant dans des situations de plus en plus dangereuses et minables, préfigure celle à venir de TRAINE SUR LE BITUME. Un héros piteux, dépressif, mais pas encore assez pour se laisser enculer par qui que ce soit, qui tabasse du truand, du flic, leur éclatant la tête au sens premier du terme. Enucléation, impacts de balles, membres disloqués : une frénésie gore de tous les instants, qui n'empêche pas Zahler de plaquer l'obsession d'une certaine droiture, d'une certaine justice qui étaient déjà celles du personnage campé par Kurt Russel dans son précédent film.

Dans SECTION 99, les adversaires du héros
se font littéralement exploser la tronche.

Vince Vaughn montre qu'il est crédible, définitivement, dans un rôle ne prêtant pas à sourire. Les comiques et humoristes sont souvent des personnes avec leurs démons, attirées par les drames, Vaughn ne semblent pas déroger à la règle en venant régulièrement dans un registre sombre -- sa prestation dans la saison 2 de TRUE DETECTIVE était extrêmement touchante.

SECTION 99 est un film racé et peu commun dans la production actuelle, qui ne pourra laisser indifférent... Zahler confirme un an plus tard tout le bien qu'on pense déjà de lui.



Nous voici en 2018 avec la sortie de TRAINE SUR LE BITUME : un film au casting à nouveau très plaisant. Aux Vince Vaughn, Don Jonhson, Udo Kier et Jennifer Carpenter vient s'adjoindre Mel Gibson, ni plus ni moins, dans le rôle d'un flic qui végète depuis des décennies, très compétent mais n'étant jamais parvenu à se placer politiquement parlant au sein de sa hiérarchie. Habitant un quartier miteux, il entraîne son collègue et ami (Vaughn) dans une traque de braqueurs de banque... histoire de leur voler le magot. Sauf que ceux-ci sont avant tout de purs psychopathes, tuant pour un oui ou pour un non, dépassant allègrement ce qu'on a pu voir en matière de sadisme dans le cinéma U.S. de ces dernières années...

A nouveau, le rythme lent et des "dialogues de la vie de tous les jours" (toutefois plus profonds qu'en apparence) permettent de rentrer dans un quotidien terre-à-terre, de connaître et s'attacher aux très nombreux personnages, dont certains repartent aussi vite qu'ils sont arrivés. Mention spéciale à cette jeune mère de famille, très marquante... Seule la véritable ordure à la tête du braquage est laissée dans le flou, on en connait peu de choses sinon son absence totale de pitié et de scrupule. Le film fait plus de 2h30, et place consciencieusement les pierres d'un édifice oppressant pendant environ 1h.

De petites gens crédibles de par leurs actions
et leurs lignes de dialogue.

A partir de là, c'est assez simple : on a récemment rarement été aussi tendu en suivant le déroulement d'un film. Encore une fois, parce que Zahler a réussi a poser une règle très simple : personne, aucun personnage n'est à l'abri de finir de la pire des manière, la morale ou la justice n'ayant ici pas plus sa place que dans les précédents films du cinéaste. On peut être une bonne personne dans la vie, et finir cul à l'air avec une balle dans le visage, abandonné dans le trou du cul du monde.

Alors, on est sous pression. On est sous pression dans ce van où finalement, les braqueurs eux-mêmes se divisent en 2 groupes antagonistes, et où une malheureuse otage s'urine dessus. On est sous pression dans cette putain de banque. On est sous pression lors d'une fusillade construite sur un faux-rythme, parce que dans la réalité, tout ne se finit pas vite, et surtout pas proprement. On est sous pression lorsqu'un des personnages ouvre de simples cadenas, éclairé dans la nuit par des phares. Etc, etc...

Zahler maîtrise ses gammes, sait parfaitement où il va et comment montrer pile ce qu'il faut et le temps qu'il faut, nous empêchant de prévoir ce qui va se passer. Et à nouveau au sein d'une violence démesurée, il place des détails, de mini tranches de vie (une demande en mariage et sa réponse) qui agrémentent régulièrement le réalisme de ses personnages. Et nous, on se fait malmener, chambouler, et on finit à nouveau le film exsangue.


S. Craig Zahler ; un auteur a suivre, certainement l'un des plus intéressants de ces dernières années...
A noter qu'avant de faire ses propres films, Zahler aura écrit en 2011 un très bon scénario carré 100% série B : celui du marquant et assez malsain THE INCIDENT, réalisé par le français Alexandre Courtès !


- Arthur Cauras.





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